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Comment intégrer les questions d’écoféminisme à F-information et à la bibliothèque Filigrane ?

En tant qu’association œuvrant pour l’égalité, mais plus généralement pour une société solidaire, inclusive, équitable et durable[1], il nous est impossible de ne pas nous intéresser à l’écoféminisme. Les compréhensions et définitions de ce concept sont néanmoins si diverses qu’il est difficile de trouver un angle d’approche et d’action unique. Nous ne pouvons pas, mais surtout nous ne voulons pas lui donner une définition contraignante, cette diversité reflète la diversité du monde.

Dans cet article, nous évoquerons les différents axes d’actions entrepris au sein de notre association. Nous verrons d’ailleurs qu’ils reflètent la complexité et la pluralité des questionnements écoféministes actuels.

Ecoféminisme : s’approprier un concept aux définitions multiples

Le terme d’écoféminisme est apparu en 1974 avec la militante féministe Françoise d’Eaubonne. Dès le début, l’idée défendue est que les luttes féministes et écologiques sont entièrement convergentes. L’écoféminisme cherche donc à penser les liens entre dominations de genre et celles sur la nature, de races, de classes, ou encore les dominations internationales.

Si l’écoféminisme est parfois associée à une approche essentialiste du genre (femmes/nature), la plupart des écoféministes défendent des positions constructives, en soutenant que la féminité comme la masculinité sont des constructions sociales qui varient d’une époque à l’autre et d’une région géographique à l’autre.

Parmi les références sur la thématique, citons notamment Le féminisme ou la mort (1974), de Françoise D’Eaubonne, qui développe l’idée d’un capitalisme patriarcal, responsable de l’oppression des femmes et de l’exploitation de la planète, et défend l’écoféminsme comme seule solution pouvant sauver le vivant dans sa globalité. Mais aussi Être écoféministe : théories et pratiques (2020), de Jeanne Burgart Goutal ou Reclaim – recueil de textes écoféministes (2016) dans lequel la philosophe Emilie Hache propose un ensemble de textes écrits par des figures de l’écoféminisme comme Starhawk, Vandana Shiva, Susan Griffin ou encore Carolyn Merchant. Plus récemment, Après la pluie : horizons féministes (2020) de Solene Ducretot et Alice Jehan ou encore Des paillettes sur le compost : écoféminismes au quotidien (2022) de Myriam Bahaffou.

Aujourd’hui, le terme est très fréquemment utilisé, approprié voire instrumentalisé, et ceci tout particulièrement en Occident. Comme l’explique Jeanne Burgart Goutal, « dans le reste du monde, les collectifs n’ont pas besoin de ce terme : ils ont leurs propres mots et ils se méfient d’ailleurs des termes féminisme  et écologie, y voyant une sorte d’impérialisme caché». Cette dernière cite des exemples de récupération du terme comme la semaine de l’entrepreneuriat écoféministe, des coques d’iPhone écoféministes, et évoque, en réaction à la sur-utilisation du terme, l’envie de certaines militantes de s’en démarquer[2].

S’il fallait oser un résumé, nous proposerions une grille de lecture écoféministe considérant que les violences s’exerçant sur les femmes* (exploitation économique, violences sexistes, etc.) et sur le vivant (sur-exploitation des ressources, destruction des terres, etc.) sont intimement liées. Mais aussi que les changements climatiques exacerbent les inégalités sociales et touchent tout particulièrement les femmes*, globalement plus précarisées et donc moins à même de s’adapter à ces changements. En outre, le fait que le soin à autrui (« care »), soit davantage assigné aux femmes*, a pour conséquence qu’elles se préoccuperont des enfants, des ancien·nes, de la nourriture, de l’accès à l’eau, etc.

C’est avec cette grille de lecture en tête mais le souhait de ne pas se cantonner à des définitions générales et souvent déconnectées de nos réalités locales, que nous avons construit différentes initiatives à F-information.

Ateliers « Fresque Genre et Climat » et pistes d’actions

Fin 2023, nous nous sommes intéressées à l’outil « fresque du climat ». Les ateliers de la Fresque du Climat ont pour but de sensibiliser le public aux enjeux environnementaux, en particulier ceux liés au dérèglement climatique. Ils se basent sur les données issues des rapports scientifiques du groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Depuis sa création en 2018, la Fresque du Climat est devenue un « outil de référence qui permet aux individus et aux organisations de s’approprier le défi de l’urgence climatique. »[3] 

Une partie de l’équipe de F-information et de la bibliothèque Filigrane a donc pris part à un atelier avec une animatrice externe. Cette expérience a permis de nous mettre à un même niveau d’information, de partager nos craintes liées au dérèglement climatique et à l’environnement, mais aussi nos pistes d’action au niveau individuel et au niveau de l’association. Nous avons identifié des améliorations possibles et « eco-gestes » au niveau de nos pratiques et prestations.

En parallèle, nous nous sommes interrogées sur comment intégrer la dimension du genre, peu présente dans ce type d’atelier. Souad von Allmen, chargée de communication, de recherche  de fonds et d’accueil à F-information, soutenue par Sylvie Fischer, a planché sur le projet « Fresque genre et climat ». Dans l’idée de proposer un atelier pilote lors de la Semaine de l’égalité 2024 en Ville de Genève « Genre et climat : même combat »[4], elles se sont associées à Marina Protopopoff, référente de l’Association Fresque du Climat pour le Grand Genève et multifresqueuse.

A la question de pourquoi intégrer la question de l’égalité et du genre dans les ateliers de la Fresque du Climat, nous avons notamment avancé les arguments suivants : en considérant le genre, on peut mieux comprendre comment les problèmes environnementaux affectent différemment les personnes en fonction de leur identité de genre, de leur classe sociale et de leur origine. Une approche intersectionnelle[5] permet de saisir plus largement les inégalités et d’adapter les solutions en conséquence. En outre, la majorité de la population mondiale est constituée de personnes qui ne sont pas des hommes privilégiés, blancs et occidentaux. Faire entendre la voix, les expériences et perspectives de cette majorité permet de valoriser ses propositions et de l’inclure dans les débats et prises de décisions. Finalement, en sensibilisant les participant·es aux inégalités de genre liées au climat, ces ateliers peuvent à la fois contribuer à promouvoir la diversité des genres, encourager des comportements individuels et collectifs respectueux de l’environnement et permettre une prise de conscience des problématiques sociétales et systémiques au cœur du dérèglement climatique.

Des ateliers en français facile

A F-information, nous accompagnons de nombreuses personnes allophones. Nous souhaitions prêter une attention particulière aux enjeux d’accessibilité et d’inclusion pour ce qui est de la langue et des termes utilisés dans ces ateliers. C’est pourquoi nous avons imaginé une version en « français facile »[6] pour un public allophone[7]. Le défi est d’utiliser un langage simplifié mais pas simplificateur.

Nous espérons que les ateliers de la Fresque Genre et Climat serviront de plateforme d’échange, permettant aux participant·es allophones, pour la plupart issues de la migration, de partager leurs expériences uniques liées à leur parcours, à leur culture et à leur environnement.

D’autre part, nous sommes convaincues que donner la voix aux personnes issues de la migration permet de s’affranchir des biais occidentalo-centrés.

Finalement, une participation active et une compréhension des enjeux en lien avec le genre et l’environnement favorise une implication et une participation citoyenne, et peut constituer un pas vers plus de confiance, d’autonomie et d’inclusion.

Les ateliers en français facile auront lieu au MEG (Musée d’ethnographie de Genève), tandis que les autres seront adressés au public francophone à La Collective. Pour les publics allophones comme francophone, un atelier sera mixte et l’autre entre femmes*. Ces ateliers sont une première étape. Après évaluation, ils devraient pouvoir être proposés à l’avenir aux associations intéressées.

Inscriptions ateliers en français facile

Inscriptions ateliers public francophone

 

Bibliographie et documentation thématique

En tant que référence en termes de documentation sur les questions d’égalité et de diversité, la bibliothèque Filigrane a été sollicitée comme les années précédentes pour la conception de la bibliographie thématique de la Semaine de l’égalité. Conçue avec l’Agenda 21, les bibliothèques municipales et de la Bibliothèque de l’Université de Genève, la bibliographie thématique est intitulée « Genre et climat, même combat ». Une grande partie des références peut être trouvée et empruntée à la bibliothèque Filigrane. Un rayon spécifique « écofeminisme » est visible à la bibliothèque et la thématique est présente en filigrane dans énormément d’ouvrages, de films, de livres, etc.

En outre, nous avons récemment créé une catégorie sur les questions d’écologie, de climat et d’écofeminisme au sein de la documentation de F-information. L’ensemble de notre documentation, riche d’environ 500 différents dépliants, accessibles et gratuits à l’accueil, traitent de thématiques aussi vastes que migration, formation et emploi, violences, logement, jeunes, sénior·es, parentalité, sexualité, santé, etc. Ajouter cette nouvelle catégorie contribue à améliorer la visibilité de la thématique, à sensibiliser notre public mais aussi l’équipe, et constitue un rappel sur les corrélations directes entre égalité, genre et climat. Nous espérons que cela permettra également à l’avenir de nouvelles synergies avec des associations locales actives dans les domaines de l’écologie, du développement durable et de l’écoféminisme.

L’environnement et l’écologie avec « Nous citoyennes »

Le projet « Nous Citoyennes » du Pôle Migration, intégration et citoyenneté de F-information réunit chaque année entre 7 et 9 femmes pour réaliser une action citoyenne. Le groupe décide ensemble de la thématique qu’il souhaite aborder, et en 2022 comme en 2023, les participantes ont choisi des thèmes en lien avec l’environnement : en 2022, elles ont mis en place des actions de sensibilisation sur le gaspillage énergétique en proposant des stands. Le projet, intitulé, « Économie d’énergie et dérèglement climatique : sensibiliser pour changer les habitudes » a été un succès. En 2023, les participantes ont décidé de sensibiliser les enfants aux questions d’environnement. Leur projet avait pour titre « Le respect de l’environnement, ça s’apprend. Sensibilisation des enfants au tri des déchets, au recyclage et à la réutilisation des objets par des activités de jeu et de bricolage ».

Dans les deux cas, les participantes se sont également formées grâce à des associations partenaires. Cela a permis de faire évoluer leurs propres pratiques et réflexions, mais également de sensibiliser au-delà.

En conclusion, en tant qu’association généraliste et s’engageant largement pour les questions d’égalité, F-information se doit d’être proactive également pour une société plus juste et pour l’habitabilité de notre planète. Nos questionnements et pistes d’actions sur l’écoféminisme en sont encore à leurs débuts. Nous sommes toutefois convaincues de l’importance de travailler en réseau pour faire pression ensemble et faire bouger les lignes tant au niveau local que global. Car selon nous, seule une redéfinition du système socio-économique actuel permettra de faire face aux défis qui nous attendent, et parmi eux l’urgence climatique.

 

Notes

[1] Voir charte de F-information

[2] https://reporterre.net/L-ecofeminisme-reste-compris-de-travers#nb1

[3] https://fresqueduclimat.ch/

[4] https://evenements.geneve.ch/semaine-egalite/index.html. Ces ateliers bénéficient du soutien financier et en nature du service Agenda 21-Ville durable, ainsi que du MEG et de la Collective.

[5] L’intersectionnalité prend en compte les différentes formes de discrimination vécues par une personne et rappelle que celles-ci ne s’additionnent pas mais s’entrecroisent et se renforcent.

[6] Une explication de la méthode FALC 

[7] Convaincues de l’approche français facile à lire et à comprendre FALC, ceci d’autant plus considérant notre  public très multiculturel, la bibliothèque Filigrane a récemment conçu un fonds FAL. La réflexion sur l’accessibilité de nos textes est également constante pour la communication du Réseau interculturel d’échanges de savoirs entre femmes (RESI-F), mais également, depuis cette année, pour notre questionnaire de satisfaction envoyé à toutes les personnes venues en consultation.