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Discrimination de genre et violences institutionnelles : les situations rencontrées à F-information

 

Discrimination de genre et violences institutionnelles : les situations rencontrées à F-information

En cette journée du 25 novembre pour l’élimination des violences à l’égard des femmes, cet article élargit la focale de la violence d’individu à individu pour évoquer une autre forme de violence souvent méconnue et parfois taboue: la violence institutionnelle. Celle-ci, bien qu’émanant d’une structure, peut refléter des stéréotypes et discriminations sociétales et individuelles. De plus, les violences commises par une personne et celles commises par une institution se cumulent, tout particulièrement pour les femmes et encore davantage pour des femmes d’origine étrangère et/ou racisées. Les discriminations étant multiples et intersectionnelles (liées à l’origine, au genre, à l’orientation sexuelle, à l’identité de genre, au statut administratif, etc.), les violences qui s’y rattachent le sont également.

La violence institutionnelle : définition et déclinaisons

Pour Stanislaw Tomkiewicz, pédo-psychiatre et un des premiers à théoriser le concept, la violence institutionnelle est « toute action commise dans et par une institution, ou toute absence d’action, qui cause une souffrance physique ou psychologique et/ou qui entrave une évolution ultérieure »[1]. Nous ajouterons à cette définition que la violence institutionnelle s’inscrit dans une logique structurelle et qu’elle reproduit des discriminations et stéréotypes ancrés dans nos sociétés. D’autres rappellent également que cet « abus de force » peut se dérouler au sein du  système institutionnel mais aussi découler de son fonctionnement propre.[2]

Les violences peuvent être physiques, morales, financières, médicales, initiée par une attitude de négligence ou encore de privation des droits. Ainsi, ne pas recevoir de réponse – qu’elle soit positive ou négative – de la part d’une institution peut être une forme de violence. Des délais d’attente très longs mettant la personne dans une situation critique peuvent également consister en une violence.

Quant au terme d’ « institution », il englobe toute organisation où se développent des rapports humains extra-familiaux : bureaux, écoles, associations, entreprises, tribunaux, services sociaux, services administratifs, services de santé, etc. Le rapport institution – « usager-ère » implique très souvent un rapport de dépendance et de pouvoir. Une forme d’asymétrie est en effet inévitable lorsqu’une personne vient avec un besoin et l’espoir de le satisfaire (par exemple pour une démarche administrative en lien avec le parcours migratoire, un recours aux prestations sociales ou encore une démarche dans le domaine de la santé et des soins).

Si la violence ne va pas forcément directement être liée à l’objet de la venue – ce n’est peut être pas la demande même qui va être ignorée ou mal traitée – cette violence s’exprimera à travers des attitudes et comportements touchant à l’intégrité de la personne. S’agissant d’une institution, cette violence pourra néanmoins avoir un effet collatéral sur la demande.

Une inégalité face aux violences institutionnelles

Bien que la violence institutionnelle puisse toucher tout le monde, certaines attitudes sont fondées sur des discriminations sexistes, homophobes et transphobes. On pourrait alors parler de « sexisme institutionnel » mais aussi d’« homophobie et transphobie institutionnelles » : remarques sexistes, propos ou comportements inadéquats, discrimination en raison de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre, ou encore non-reconnaissance de l’identité de genre sont quelques exemples de violences qui peuvent avoir lieu au sein des institutions.

D’autre part, le traitement par la police et le système judiciaire des récits de violences sexuelles et de harcèlement demeure marqué par une écoute parfois insuffisante. Dans ce sens, la difficulté de faire reconnaître et aboutir ce type de plainte constitue une violence supplémentaire à la violence initialement dénoncée. Dans le cas des medias également, un traitement non approprié de ces réalités constitue non seulement un vecteur de violence, mais une violence en soi. A ce propos, l’association DécadréE a publié le manifeste « Pour un meilleur traitement médiatique des violences sexistes[3] » qui demande aux medias d’éviter les articles sensationnalistes, de traiter les violences sexistes comme un fait de société, de ne pas culpabiliser la victime, de respecter la sphère privée de la victime, de bannir les stéréotypes de genre ou encore de révéler la diversité des profils (origines géographique, de statut ou encore socio-économique) des agresseurs.

Finalement, il est important de rappeler la « double violence » vécue par les femmes migrantes victimes de violences conjugales qui n’osent dénoncer les violences subies de peur de se faire retirer leur permis de séjour. Le fait que cela soit notamment les structures administrative et judiciaire suisses qui découragent ces femmes à porter plainte constituent une violence institutionnelle. Les juristes de F-information ont fait état de situations observées lors de leurs consultations et en ont souligné les contradictions dans un article intitulé « Femmes migrantes victimes de violences conjugales : une double discrimination qui perdure ».[4]Pour contrer cette double discrimination, la Convention d’Istanbul permet une meilleure protection des femmes migrantes, mais la Suisse y met des obstacles.[5]

Violences institutionnelles dans le domaine de l’aide sociale

Pour ce qui est du domaine de l’aide sociale, différentes conditions créent un terreau « favorable » aux situations de violence institutionnelle : d’une part, l’asymétrie intrinsèque à la relation institution sociale-bénéficiaire, et, d’autre part, une pression ressentie par de nombreux-ses employé-es de ces administrations entre les demandes des bénficiaires et les objectifs de la hiérarchie. Sachant que les personnes faisant  recours aux aides sociales sont en général dans une position de vulnérabilité, elles pourraient être particulièrement sensibles à des dysfonctionnements – même légers – au niveau de leur dossier (retards, manque d’information, etc.).

Dans le cadre des consultations à F-information, plusieurs personnes bénéficiaires de prestations sociales ont évoqué le fait qu’elles les recevaient parfois en retard (jusqu’à 10 jours) occasionnant ainsi un stress important. D’autre témoignent du fait qu’elles ne reçoivent pas systématiquement le décompte de ces prestations, document qui atteste pourtant de leur situation financière et peut être exigé lors de démarches administratives. Dans ces cas, les personnes n’expriment souvent pas leurs besoins à leur assistant-e social-e par crainte que cela ne leur porte préjudice.

La situation d’une femme reçue à F-information témoigne quant à elle d’incohérences du système administratif suisse. Étant actuellement copropriétaire avec son ex-mari d’un bien immobilier modeste au Portugal, elle se retrouve après sa séparation non-éligible[6]aux prestations sociales. Or le bien immobilier a été acquis entièrement par son ex-mari, elle-même n’ayant pas les moyens financiers d’y contribuer. Elle souhaiterait actuellement faire don de sa part du bien à son ex-mari afin de pouvoir faire recours aux prestations sociales, mais ni elle ni ce dernier n’ont les moyens de payer ces démarches. En outre, si elle fait ce don, l’administration arguera un « dessaisissement » sur 5 ans pendant lesquels elle ne pourra demander d’aides sociales. Cette personne se retrouve donc bloquée dans ses démarches et catégorisée dans un groupe socio-économique qui ne correspond pas à sa réalité. L’attitude – et la structure – de l’institution sociale revêt ici un caractère violent car elle a pour conséquence de précariser davantage une personne qui l’est déjà et de lui bloquer l’accès à des prestations auxquelles elle pourrait avoir le droit.

Droit des migrations, droit de la famille & violences institutionnelles

Dans le cadre des consultations juridiques, F-information reçoit également des personnes subissant des violences doubles, à la fois à un niveau interpersonnel, à un niveau institutionnel voire à un niveau structurel.

Dans la première situation observée, une personne vit pendant plusieurs années des insultes et des menaces de la part du père de son enfant. Finalement elle décide de se séparer. Le père accepte de signer une convention, qui prévoit qu’il quitte le logement. Six mois après la ratification de la convention, le père n’est pas parti. Malgré la convention ratifiée, l’Hospice général, dont elle et ses enfants dépendent en partie, refuse de considérer de manière séparée ses dossiers et ceux de son ex-compagnon tant que ce dernier n’a pas de logement individuel. La personne se retrouve donc doublement affectée : par la violence de son ex-compagnon et par celle de l’institution qui lui refuse une aide individuelle.

Une autre femme venue à F-information explique qu’elle veut se séparer de son conjoint, de qui elle subit des insultes et de graves violences économiques. Elle dépend d’aides alimentaires ponctuelles. Elle veut s’en sortir, faire reconnaître sa qualification professionnelle, demander une séparation. Mais elle craint pour son permis. Elle a déposé une demande de permis d’établissement. Elle attend une réponse de l’Office cantonal de la population et des migrations (OCPM) depuis 10 mois. Elle n’ose pas se séparer tant qu’elle n’a pas une situation de séjour stabilisée. Le retard injustifié de l’administration la plonge ainsi dans une deuxième violence.

Pistes et conclusion

En conclusion, il est essentiel de reconnaître l’ensemble des rapports sociaux de pouvoir et de domination comme des vecteurs et des producteurs de violences si l’on veut agir contre celles-ci. Ainsi l’approche féministe intersectionnelle « élargit la portée de la violence aux conditions économiques et sociales qui la soutiennent »[7].Ce sont donc des changements d’approche et de mentalité qui contribueront à des changements « structurels » au niveau législatif, socio-économique ou encore administratif.

Finalement, afin de prendre conscience, de visibiliser et de tenter d’éradiquer les violences en son sein, une institution peut mettre en place des formations, des mesures d’auto-évaluation, de supervision ou encore d’organisation interne,. Ainsi, en Suisse romande, le Deuxième Observatoire a pour mission de sensibiliser et former entreprises et institutions sur leurs pratiques potentiellement discriminantes ou sexistes. Ce centre de compétences donne des conseils dans le but de diminuer le harcèlement notamment lié au genre dans le cadre professionnel.

 

[1]Tomkiewicz, Stanislaw, L’Adolescence volée, Edition Calman Levy, Paris, 1999.

[2]Bemben, Lucas, « Repères éthiques de janvier-mars 2016 », Collectif de recherche Psymas, 2016

[3]http://decadree.com/manifeste/

[4]https://www.f-information.org/actualites/femmes-migrantes-victimes-de-violences-conjugales-une-double-discrimination-qui-perdure.html

[5]Pour plus d’information sur la Convention d’Istanbul, voir https://www.f-information.org/bon-a-savoir/la-convention-distanbul-un-instrument-contre-les-violences-liees-au-genre.html

[6]Ou éligible à titre exceptionnel, avec une aide financière qui devrait être entièrement remboursée.

[7]Catherine Flynn, Dominique Damant, Jeanne Bernard, Analyser la violence structurelle faite aux femmes à partir d’une perspective féministe intersectionnelle,  Nouvelles pratiques sociales, vol. 26, 2014, Montréal.