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Inclusion à F-information et à la bibliothèque Filigrane : enjeux et actions

Mars 2025

A F-information et à la bibliothèque Filigrane, nous sommes convaincues qu’une société incluant et respectant chaque personne dans son intégrité est un maillon essentiel pour l’égalité. Mais aussi que cela peut contribuer à lutter contre les violences basées sur le genre. A notre échelle, la manière d’accueillir et de s’adresser au public a un impact important.

Ces dernières années, nous avons donc entrepris plusieurs démarches pour tendre vers une meilleure inclusion des publics allophones mais également des publics LGBTQIA+.

Parmi les démarches que nous allons détailler plus bas et qui s’inscrivent dans des tendances féministes sociétales, nous avons élaboré une charte rédactionnelle d’écriture inclusive, nous nous sommes inspirées des recommandations du travail sur l’accueil des publics LGBTIQ+ en bibliothèque et nous nous sommes formées en équipe afin d’acquérir des nouveaux outils permettant de rendre notre posture professionnelle la plus inclusive possible. Pour ce qui est des publics allophones, nous avons simplifié plusieurs supports de communication et la bibliothèque Filigrane a développé une collection en « français facile à lire (FAL) ».

1.     Langage inclusif et charte rédactionnelle

Les enjeux du langage inclusif sont vastes et touchent à des dimensions linguistiques, sociales, culturelles, historiques et politiques. En modifiant le langage, on agit sur les comportements, les mentalités et on réduit les biais et violences systémiques. Par ailleurs, on constate que les résistances au langage inclusif révèlent des rapports de pouvoir[1]. Le langage inclusif est à la fois un symbole, un outil et un levier pour construire une société où chaque individu se sent reconnu et valorisé. L’émergence du langage inclusif s’inscrit dans le cadre des luttes féministes des années 1970. Dans de nombreux pays, ces mouvements dénonçaient la domination masculine dans la langue, où le masculin était présenté comme « neutre » ou « générique ». Le langage inclusif vise à mieux refléter la diversité de la société en rendant visibles des groupes qui, historiquement, ont été marginalisés ou effacés dans la langue.[2]

Entre 2021 et 2023, un groupe de travail « inclusion » s’est créé au sein de F-information et de la bibliothèque Filigrane. Le groupe s’est régulièrement réuni pour mettre en place des pratiques inclusives que cela soit au sein de l’équipe ou vis-à-vis des consultantes et lecteur·icexs. Le groupe a notamment créé et implémenté une charte rédactionnelle d’écriture inclusive. Pour ce faire, il a été accompagné par Décadrée, institut de recherches et de formations et laboratoire d’idées sur l’égalité dans les médias, qui propose notamment des formations sur l’écriture inclusive.

Notre démarche a été guidée par la conviction que le langage n’est pas neutre et qu’il est le fruit d’une construction historique. Opter pour une écriture inclusive incarne les valeurs d’égalité de F-information et de la bibliothèque.

Au vu des différents publics auxquels nous nous adressons mais aussi des différents contextes dans lesquels nous communiquons (consultantes, partenaires, lecteur·icexs, membres du RESI-F, bailleurs de fonds, fondations, etc.), il a rapidement été décidé que plusieurs écritures pouvaient cohabiter. Néanmoins, l’intérêt de cette charte était d’avoir des bases et des outils clairs pour communiquer de manière plus homogène, par secteur d’activité (F-information, Filigrane, RESI-F) et par usage (courriers officiels, communication grand public, etc.).

Parmi les décisions prises, la « baseline » du logo de F-information « pour femmes et familles » a été revue et l’astérisque accolée à femmes* permet aujourd’hui d’inclure « toute personne qui se reconnaît en tant que femme ou socialisée en tant que telle ».

Nous avons aussi choisi de renoncer au masculin générique et de féminiser les noms de métiers, de titres et de fonctions, mais aussi d’utiliser lorsque cela est possible le langage épicène (des termes qui désigne des ensembles, sans se soucier du genre des personnes).

Quelques déclinaisons ont ensuite été adoptés selon le type de communication.

  • Les « doublets » (expression du féminin et masculin dans le même groupe) pour les documents officiels.
  • Le féminin générique pour toute la communication de F-information (hors Filigrane.) Le fait de tout écrire au féminin est lié à notre public, essentiellement féminin. Ce choix s’oppose à la norme du masculin universel et interroge sciemment la personne qui lit.
  • Le langage inclusif non-binaire pour la bibliothèque Filigrane. Ainsi l’emploi du « x » avant le « s » du pluriel (lecteur·icexs), tout comme les pronoms neutres (iel, celleux) inclut les personnes qui se ne reconnaissent pas dans la binarité des genres.

Quelques conseils et outils spécifiques sont également donnés, notamment des usages pour l’oralité ou pour un public allophone. Cette charte a été mise en page par une graphiste, imprimée, figure sur notre site internet et est à disposition de toute association qui souhaiterait s’en inspirer.

 

2.    Inclusion des publics LGBTQIA+

En parallèle, nous nous sommes questionnées sur notre posture professionnelle, l’objectif étant que les personnes LGBTQIA+ se sentent bienvenues.

Samia Swali, responsable de la bibliothèque Filigrane, a mené son travail de master en Sciences de l’information à la Haute Ecole de Gestion (HEG) sur la thématique : « Accueillir des publics LGBTIQ+ dans les bibliothèques de Suisse romande : retours d’expérience des professionnel·le·x·s et des premier·ère·x·s concerné·e·x·s ».

Son travail de recherche dresse un état des lieux de la situation en Suisse romande en examinant les bonnes pratiques et en interrogeant directement le public concerné. Il a permis de réfléchir à des mesures concrètes et des bonnes pratiques qui ont inspiré la bibliothèque Filigrane et F-information.

Cette recherche part du constat que des discriminations prégnantes dans la société existent dans les bibliothèques qui sont « également traversées par des rapports de pouvoir »[3]. Les résultats des entretiens menés avec des personnes LGBTQIA+ ont confirmé que celles-ci n’identifiaient que très peu les bibliothèques comme source d’information spécialisée sur ces sujets et ne s’y sentaient pas toujours à leur place. Les résultats des entretiens avec les professionnel·lexs ont révélé que les mesures inclusives au sein des bibliothèques étaient encore minoritaires et souvent l’initiative de quelques bibliothécaires sans pour autant être le résultat d’un positionnement institutionnel.

Parmi les démarches à explorer, l’étude dégage différents axes permettant de contribuer à créer un espace où les publics LGBTQIA+ se sentent légitimes et puissent « baisser leur vigilance ».

  • la collection : veille documentaire et politique d’acquisition à la fois plus ciblée et plus diversifiée, mais aussi un signalement plus explicite (par ex. pictogrammes sur la tranche).
  • les actions de médiation : bibliographies et activités thématiques, partenariats avec des organisations LGBTQIA+.
  • l’accueil : interactions avec le personnel plus inclusives (formulaires administratif permettant une diversité de pronoms etc.), des badges et pancartes qui montrent le statut d’allié·exs, un accès à des toilettes non-genrées.
  • la gouvernance : charte où figure la non-discrimination des publics, politiques d’engagements plus inclusives.

Forte de cette recherche, la bibliothèque Filigrane a appliqué certaines recommandations. Elle a notamment fait un important tri dans sa collection, repensé et réorganisé la classification en créant plusieurs cotes (rayons) qui reflètent mieux la diversité (par exemple les cotes : LGBTIQ+ / Histoire LGBTIQ+ / Orientations affectives et sexuelles / Transidentités / Intersexuation / Familles arc-en-ciel / LGBT-phobies), mais aussi choisi d’afficher de manière plus visible son positionnement via par exemple le logo « bibliothèques alliées ». Concernant les actions de médiation et de valorisation, elle tient régulièrement des stands lors de la Pride à Genève ou d’autres événements comme la journée internationale pour l’égalité des familles, présente des sélections thématiques régulièrement à la bibliothèque et propose des bibliographies sur ces sujets. Mais c’est également au niveau de la gouvernance que la bibliothèque et F-information se sont questionnées en adaptant la charte associative pour la rendre plus inclusive et en créant la charte rédactionnelle décrite plus haut. Les démarches de la bibliothèque Filigrane se sont réalisées en étroite collaboration avec le laboratoire des bibliothèques de la Fondation Bibliomedia  et la bibliothèque municipale de Vevey qui sont très proactives et pionnières en Suisse romande sur ces questions.

Aujourd’hui, nous constatons que même s’il s’agit d’un processus toujours en cours, les démarches portent leurs fruits :  la bibliothèque Filigrane est de mieux en mieux identifiée par les personnes concernées, l’équipe dans son ensemble est plus attentive à ces thématiques et à la manière d’accueillir le public, nous avons développé de nouveaux partenariats et assumons le rôle de plaidoyer de la bibliothèque sur ces thématiques au sein de la profession[4].

 

3.    Communication et documentation en français facile

Dans le cadre du Réseau interculturel d’échanges de savoirs pour les femmes (RESI-F), la majorité des membres ne sont pas de langue maternelle française. Nous avons donc déjà entrepris une réflexion sur les mots employés ou le programme proposé. Concernant les membres de F-information et/ou les consultantes, nous constatons qu’une bonne partie n’est pas non plus de langue maternelle française.

C’est pour cette raison que nous avons simplifié le formulaire de satisfaction que nous envoyons systématiquement après chaque consultation. En outre, nous sommes particulièrement attentives à la formulation et reformulation aussi bien à l’accueil, que dans les consultations comme dans les autres activités collectives.

D’autre part, la bibliothèque Filigrane a durant quelques années, et partant des demandes de certain·exs lecteur·icexs mais aussi des élèves des cours de français donnés au sein de l’association, entrepris une réflexion visant la constitution d’un fonds de livres « faciles à lire ». Ce processus est inspiré de la méthode FALC (français facile à lire et à comprendre) : l’idée est de proposer des livres avec des phrases courtes et des mots simples, qui réduisent la masse d’informations et proposent une structure simple.

Fin 2023, la bibliothèque Filigrane a constitué son fonds en s’appuyant sur les outils fournis par Bibliomedia. La collection de Filigrane compte aujourd’hui plus de 200 documents, répartis en 3 niveaux de lecture, ainsi que quelques manuels et méthodes pour l’apprentissage du français. On y trouve des livres d’images, des romans courts, des documentaires accessibles, des livres parfois équipés d’une version audio, etc. L’équipe s’est efforcée de sélectionner des documents en lien avec les thématiques de l’égalité et du genre. Cette collection s’adresse à toute personne adulte ayant des difficultés avec la lecture, et ce pour quelque raison que ce soit. Par exemple, il peut s’agir aussi bien de personnes allophones, de personnes en situation de handicap, que de personnes très âgées, éloignées de l’écrit ou simplement de personnes un livre facile à lire !

Un flyer qui promeut ce fonds a été pensé en langage facile à lire et distribué largement dans le réseau associatif travaillant avec un public allophone. En juin 2023, nous avons écrit un article qui détaille les démarches entreprises afin de rendre notre documentation et notre communication le plus accessible possible.

 

4.     Formation de l’équipe et autres démarches

Parmi les autres démarches pouvant avoir un impact positif et rendre nos espaces plus accueillants, nous avons implémenté le fait d’intégrer les pronoms de chacun (il/elle/iel) dans les signatures email, ce qui permet à chaque personne de pouvoir décliner son identité avec moins de réserves. Par ailleurs, dans notre base de données qui saisit nos statistiques, nous avons ajouté l’option « autre/neutre » à côté des indications « femme » et « homme ».

Finalement, nous nous sommes formées sur les questions d’inclusion avec la Fédération genevoise des associations LGBT et l’association Asile LGBT. Durant deux jours, nous avons bénéficié de nombreux apports théoriques pour mieux appréhender ces questions, et nous avons également réfléchi à notre manière d’accueillir notre public et d’interagir avec le réseau professionnel, grâce notamment à des jeux de rôle. En effet, l’introduction de la charte rédactionnelle et notre positionnement en tant que lieu allié impliquait aussi que l’équipe soit adéquatement formée pour accueillir ces personnes en évitant toute maladresse.

Enfin, dans les perspectives à venir, la bibliothèque poursuit différentes actions pour être toujours plus accessible. Elle souhaite d’une part développer une meilleure compréhension des enjeux liés à l’accueil des publics en situation de handicap (déficience visuelle, etc.) et des mécanismes structurels menant à l’exclusion et au racisme à l’égard des personnes racisées et/ou afrodescendantes au sein des bibliothèques. Et, d’autre part, elle est en train de travailler à la mise en œuvre de la gratuité totale au sein de son espace (abolition des frais de retard, des frais de remplacement de livres abîmés, etc.).

En conclusion, lorsque l’on parle d’inclusion, il est important de travailler avec les publics et non pas à leur place. Pour les professionnelles, cela signifie être prêtes à se questionner et changer de posture, mais aussi de s’adapter au public au lieu de leur demander de s’adapter à nos pratiques. Finalement, une posture inclusive telle qu’incarnée par la bibliothèque Filigrane et F-information peut avoir un impact positif pour briser le continuum des violences sexistes et sexuelles.

 

Notes

[1] « L’écriture inclusive, Le langage est politique ! », Marie Loison et Gwenaëlle Perrier, 2024

[2] Les travaux de Dale Spender ou Luce Irigaray soulignaient déjà dans les années 1980 à quel point la langue façonne la manière dont une société perçoit les genres.

[3] Présentation publique du mémoire dans le cadre de la journée de la médiation culturelle à Bibliomedia, en 2022. 

[4] La bibliothèque Filigrane fait ainsi partie de la Commission Diversité de Bibliosuisse, la faitière des associations de bibliothèques de Suisse et du Groupe de travail pour l’accueil des publics LGBTQIA+ en bibliothèque de Suisse romande.