Information et lecture : comment les rendre plus accessibles ?
A F-information, plus de la moitié de notre public est allophone[1]. Pour la majorité, l’apprentissage du français, écrit et oral, constitue la porte d’entrée principale vers l’obtention d’un emploi, d’un permis de séjour, et vers une meilleure intégration sociale.
En outre, même si cela peut sembler évident, la première condition pour qu’une personne prenne des décisions en connaissance de cause est qu’elle comprenne bien les enjeux auxquels elle est confrontée.
Ainsi, dans le cadre de nos consultations, de nos activités collectives, et bien entendu à la bibliothèque Filigrane, une attention particulière est portée à l’accès à l’information. Si cette réflexion s’applique à tout le monde sans distinction de genre, elle est particulièrement importante pour les femmes* issues de la migration et relativement isolées que nous recevons.
Dans cet article, nous parlerons des besoins des personnes allophones qui participent à nos activités collectives, qui viennent pour une consultation, et qui fréquentent la bibliothèque Filigrane. Nous évoquerons la démarche récente entreprise par la bibliothèque Filigrane, qui a développé un fonds de documents FAL (Facile à lire). Cette démarche est particulièrement pertinente au vu des liens étroits entre la bibliothèque et le reste de l’association F-information : ainsi, nous espérons favoriser la circulation de nos publics de l’association et ses prestations à la bibliothèque et vice-versa. L’objectif étant que les différents publics se sentent accueillis et inclus dans toutes nos prestations.
Consultations, accueil et activités collectives
Dans le cadre des consultations et de l’accueil, nous recevons de nombreuses femmes qui, faute de compréhension et de maîtrise du français, sont passées à côté d’informations les concernant. Par conséquent, certaines n’ont pas entrepris les démarches pour des prestations auxquelles elles auraient droit. Certaines ont l’information mais la barrière de la langue constitue un fossé impossible à franchir, ce qui rend essentiel l’accompagnement. Lorsque cela est possible, nous essayons de communiquer avec les consultantes dans leur langue maternelle et/ou en anglais si elles le maîtrisent mieux que le français. Dans le cas contraire, les applications de traduction, mais également la présence d’un·e proche pouvant traduire, ou exceptionnellement de traductrices professionnelles se révèlent précieuse et nécessaires.
Dans notre communication, et tout particulièrement dans celle adressée aux membres du Réseau interculturel d’échanges de savoirs pour les femmes (RESI-F)[2], composé essentiellement de femmes migrantes, nous portons une attention particulière au vocabulaire et au formulations utilisées afin que les informations communiquées soient comprises par le plus grand nombre. La démarche entreprise par l’EVAM (Établissement vaudois d’accueil des migrants) qui a intégralement revu son site en prêtant attention aux vocabulaire, formulations et signalétique est très intéressante. Le but de la structure est de « vulgariser sans dénaturer »[3]. Des personnes allophones ont d’ailleurs été sollicitées pour lire et faire des retours sur le site.[4]
Si ce genre d’approche linguistique et de communication a rencontré quelques réticences par le passé, peu ignorent aujourd’hui l’évidence suivante : chacun et chacune doit pouvoir comprendre un texte pour agir et prendre des décisions. « Le FALC s’impose de plus en plus comme un outil d’aide à la participation», rappelle d’ailleurs France Santi, traductrice et formatrice en FALC. Face à la crainte et au reproche que la langue française soit appauvrie, elle répond qu’il sera « toujours possible et souhaitable de faire de la littérature. Par contre, celle-ci n’a pas sa place dans un texte administratif».[5]
Dans le cadre du RESI-F, nous essayons de proposer des cours qui répondent aux besoins et aux spécificités de nos membres. Nous proposons des cours de français de différents niveaux, mais l’apprentissage de la langue se fait également à travers les autres cours (gym, informatique, couture, etc.)
En ce qui concerne les cours de français, il arrive que le niveau d’une personne diffère à l’écrit et à l’oral. Ainsi, l’un de nos cours s’adresse spécifiquement à des femmes parlant bien – voire très bien – le français, mais ne sachant peu – voire pas – l’écrire. Les enseignantes du RESI-F proposent différentes techniques : elles passent parfois par des exercices de grammaire ou de conjugaison dits « classiques », mais c’est souvent au gré des discussions que des règles de grammaire ou de conjugaison sont introduites.
« Un des aspects qui me semble essentiel dans les cours de français que je donne au RESI-F, c’est de s’adapter au niveau et besoins des élèves présentes. J’alterne différentes méthodes et supports selon les facilités d’apprentissages de chacune. Le fait que l’ambiance soit décontractée, mais aussi qu’il n’y ait pas d’examen final, encourage les apprenantes à s’exprimer en français, à dire quand elles n’ont pas compris un exercice ou quand cela va trop vite. »
Denyse, enseignante de français au RESI-F depuis 8 ans
Le projet Nous Citoyennes[6] est également un exemple très parlant d’un apprentissage du français « appliqué » et répondant aux besoins précis des participantes. Si ces dernières doivent avoir un niveau minimum A2 pour faire partie du projet, elles développent en quelques mois un vocabulaire souvent nouveau en lien avec la gestion de projet. Elles ont également l’occasion de s’adresser – à l’écrit et à l’oral – à des institutions ou à des associations professionnelles afin de construire des partenariats. Finalement, une fois le projet concrétisé, elles le présentent devant un public, tout ceci en français. Si elles sont suivies et soutenues lorsque cela est nécessaire par la coordinatrice, elles s’approprient totalement le choix du projet, sa concrétisation et sa présentation.
La bibliothèque Filigrane et son fonds FAL (facile à lire)
Depuis quelques années, et partant des demandes de certaines lectrices mais aussi des élèves des cours de français donné au sein de l’association, la bibliothèque Filigrane a entrepris une réflexion visant la constitution d’un fonds de livres « faciles à lire ». Ce processus est inspiré de la méthode FALC (français facile à lire et à comprendre) : l’idée est de proposer des livres avec des phrases courtes et des mots simples, qui réduisent la masse d’informations et proposent une structure simple.
Cette collection s’adresse à toute personne adulte ayant des difficultés avec la lecture, et ce pour quelque raison que ce soit. Par exemple, il peut s’agir aussi bien de personnes allophones, de personnes en situation de handicap, que de personnes très âgées ou simplement éloignées de l’écrit. La fondation Bibliomedia[7] a rédigé des conseils et des bibliographies[8] à l’intention des professionnelle·es intéressé·es. Parmi les critères de sélection de ce type d’ouvrages, on trouve la présence de chapitres délimitant le texte, la longueur du texte, la présence de phrases courtes, du vocabulaire et de la conjugaison simple. En outre, les livres choisis se veulent « simples mais pas simplistes »[9]. Le fonds doit dès lors faire preuve d’une certaine qualité littéraire et/ou artistique, et proposer un contenu non infantilisant. Cependant, certaines collections pour adolescent·es peuvent être adaptées à un public adulte tout comme certains albums jeunesse.
Bibliomedia propose également aux bibliothèques qui s’engagent dans cette démarche des mesures d’accompagnement : guide pratique et méthodologique, entretien-conseil, idées de médiation, mise en réseau, logo pour la communication. La bibliothèque Filigrane s’est appuyée sur les précieux outils fournis par Bibliomedia et utilise son logo pour signaler le fonds. La collection de Filigrane compte aujourd’hui près de 200 documents, répartis en 3 niveaux de lecture, ainsi que quelques manuels et méthodes pour l’apprentissage du français. On y trouve des livres d’images, des romans courts, des documentaires accessibles, des livres parfois équipés d’une version audio, etc. L’équipe s’est efforcée de sélectionner des documents en lien avec les thématiques de l’égalité et du genre, cependant l’offre n’est pas circonscrite à ces questions. Ceci s’explique d’une part par l’offre éditoriale, et d’autre part, par la volonté de proposer des ouvrages avec des termes du quotidien.
Plusieurs autres bibliothèques proposent des livres en français facile, ainsi que des livres bilingues ou encore des méthodes orales et écrites d’apprentissage. Ainsi, la bibliothèque du Centre d’intégration interculturelle de la Croix-Rouge dispose d’une collection de livres dans 298 langues ou dialectes, dont une grande collection d’histoires bilingues à l’attention des parents allophones pour qu’elles et ils puissent lire avec leurs enfants[10].
En conclusion, assurer un accès le plus inclusif et large à la lecture, mais également à l’information, participent à rendre les personnes actrices de leur vie. En outre, cela contribue au sentiment d’intégration et de prise en compte par la société d’accueil. Aussi bien dans le cadre de nos consultations, de nos activités collectives telles que le RESI-F et Nous Citoyennes, qu’à la bibliothèque Filigrane, cette accessibilité nous tient à cœur. En effet, nous sommes persuadées qu’elle contribue à l’empouvoirement et à l’autonomie des femmes*.
Références :
- https://engagement.migros.ch/fr/news-projets/vivre-ensemble/falc
- https://doc.rero.ch/record/327929/files/EtiqueMichela_TB_FacileaLire_VD.pdf
- Présentation du fonds FAL en vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=5wIlv8MTx8U
[1] Personne dont la langue maternelle est une langue étrangère, dans la communauté où elle se trouve.
[2] Plus d’informations sur https://www.f-information.org/activites-collectives/resi-f
[3] https://www.evam.ch/actu/2022/01/le-facile-a-lire-et-a-comprendre-fait-son-entree-sur-le-nouveau-site-web-de-levam/
[5] https://engagement.migros.ch/fr/news-projets/vivre-ensemble/falc
[6] Plus d’informations sur https://www.f-information.org/activites-collectives/nous-citoyennes
[7] Bibliomedia est une fondation de droit public qui, sur mandat de la Confédération, œuvre pour la promotion de la lecture et le développement des bibliothèques de lecture publique
[8] https://www.bibliomedia.ch/fr/theme/fonds-facile-a-lire/
[9] Ibid
[10] https://www.croix-rouge-ge.ch/activites/personnes-migrantes/centre-dintegration-culturelle/bibliotheque-et-pret-de-livres