Mouvements féministes dans le monde
Mouvements féministes dans le monde : davantage qu’une réaction « post-MeToo »
En octobre 2018, Le Monde titrait « #MeToo, du phénomène viral au mouvement social féminin du XXIe siècle ». Argentine, Espagne, mais aussi Inde, Arabie Saoudite, Liban: force est de constater que depuis 2017 les mouvements féministes se sont multipliés, intensifiés.
Si ces derniers partent généralement d’événements concrets et de combats spécifiques, ils deviennent vite plus globaux. Ils permettent ainsi de faire remonter des thématiques souvent enfouies et parfois taboues à la surface. Les réactions puissantes réunissant des centaines de milliers de femmes font état d’une colère qui n’attendait qu’une étincelle pour s’embraser.
Bien entendu, les féminismes arabes, africains ou sud-américains n’ont pas attendu #MeToo pour se manifester. Mais ce mouvement semble avoir apporté une visibilité, une attention des medias, et peut être également créé une certaine émulation, un effet de solidarité voire de « sororité internationale ».
Ainsi, les revendications s’inscrivent dans des contextes socio-économiques, culturels et législatifs spécifiques et régionaux, mais elles se rencontrent dans une aspiration générale: « repenser la question du rapport entre les sexes, s’attaquer à ce statut de domination masculine et anéantir l’idée d’un désir masculin irrépressible »[1].
Sans prétendre être exhaustif, cet article pointe quelques mouvements à travers le monde afin de montrer la vitalité mais également le chemin qu’il reste à parcourir pour davantage d’égalité. Petit tour d’horizon de ces 3 dernières années.
Inégalités salariales, reconnaissance des violences sexuelles et représentation politique : les féministes espagnoles sur plusieurs fronts.
Si l’Espagne semblait avoir réagi avec modération au scandale Weinstein et à la campagne #MeToo, la mobilisation du 8 mars 2018 révèle une colère bien présente dans tout le pays : 5,3 millions de femmes se sont mises en grève de Madrid à Barcelone en passant par Séville pour réclamer la fin des discriminations génrées dans le monde du travail.
D’autre part, face à la très médiatisée et polémique affaire « la Manada » (accusation de viol qui n’a pas été retenue par la justice sous prétexte qu’on ne pouvait prouver l’usage de la violence) la pression pour modifier la législation espagnole et son interprétation de la violence sur le corps des femmes a été très importante.
Finalement, en juin 2018, le socialiste Pedro Sanchez a remplacé Mariano Rajoy (Parti populaire) à la tête du gouvernement. Le nouveau premier ministre a nommé le premier cabinet de l’histoire espagnole où les femmes constituent une large majorité : en outre, elles occupent certains des ministères traditionnellement « réservés » aux hommes, comme celui de la Défense, de l’Économie et des Finances. Si elle ne garantit rien, cette présence majoritairement féminine représente un geste de grande portée qui n’aurait probablement pas été possible sans la pression soutenue des mouvements de femmes dans la rue.
Inscrire les revendications féministes dans l’agenda du gouvernement argentin
Le 14 juin 2018, le vote du Congrès argentin a ouvert la voie à la légalisation de l’avortement. Cette décision doit beaucoup aux mouvements sociaux et féministes des mois précédents.
L’« affaire du soutien-gorge » a éclaté à Buenos Aires en avril 2018 lorsqu’une jeune lycéenne de 16 ans s’est vue sanctionnée car elle ne portait pas de soutien-gorge sous sa robe longue. Le mouvement de revendication qui s’en est suivi a réuni de nombreuses jeunes femmes et cristallisé des revendications plus larges.
En 2015 et 2016, des manifestations massives contre le féminicide sous le slogan « Ni una menos » (pas une de moins) ont eu lieu dans plusieurs villes d’Argentine mais également en Uruguay, au Chili et au Pérou.
Tandis que sous la présidente Cristina Krichner (2007-2015), les mouvements féministes avaient obtenu la catégorisation officielle du féminicide ou la formalisation du statut des travailleuses domestiques, la légalisation de l’avortement restait un sujet tabou. Le gouvernement de Mauricio Macri quant à lui, n’a eu de cesse depuis 2015 d’affaiblir les mouvements féministes et de démanteler les politiques contre le féminicide. Malgré cette fermeture, c’est aujourd’hui sous son gouvernement que la légalisation de l’avortement est discutée.
On peut imaginer que la pression des différents mouvements féministes a influencé un vote qui, durant des années, semblait perdu d’avance. Ces mouvements ont fait descendre dans la rue des centaines de milliers de personnes mais ont également permis d’inscrire des revendications essentielles à l’agenda politique institutionnel.
Chili : un mouvement universitaire qui appelle à un changement social global
Né à l’université de Valdivia (sud du Chili) au printemps 2018, le mouvement des étudiantes contre le harcèlement et les agressions sexuelles a pris une ampleur inédite dans ce pays historiquement conservateur où l’influence de l’Eglise reste importante. A titre d’exemple, la dépénalisation partielle de l’avortement a été adoptée seulement l’an dernier, et le divorce n’est légal que depuis 2004.
Le mouvement des étudiantes demande l’adoption par toutes les facultés d’un règlement pour sanctionner les violences sexuelles. Il exige également la formation des professeur.e.s et des étudiant.e.s aux problématiques de genre, davantage d’auteures dans les bibliographies, l’autorisation pour les transsexuel.le.s d’utiliser leur nom d’usage, des mesures pour favoriser les carrières des enseignantes-chercheuses…
Au Chili comme dans d’autres mouvements issus des milieux universitaires et/ou scolaires, les revendications vont au-delà des cercles étudiants: ils appellent à un changement social global.
#Female Pleasure : un documentaire qui tisse des liens entre liberté sexuelle et violences faites aux femmes
Documentaire le plus vu en 2018 en Suisse, #Female Pleasure raconte, plutôt que le plaisir sexuel, sa répression. On y découvre les parcours de cinq femmes activistes, dont les prises de position remettent en cause les traditions, s’attaquent aux structures patriarcales et racontent la violence sexuelle dans leur pays. Leur engagement leur ont valu à toutes d’être insultées, agressées voire même, pour certaines, de recevoir des menaces de mort.
Rokudenashiko, artiste japonaise autrice d’un manga visant à briser les tabous autour du sexe féminin; Vithika Yadav, fondatrice indienne du projet d’éducation sexuelle Love Matters ; l’Allemande Doris Wagner, abusée sexuellement alors qu’elle était membre d’une communauté catholique ; Leyla Hussein, militante anglo-somalienne contre les mutilations génitales ; Deborah Feldman, qui a fui sa communauté juive hassidique de New York : les protagonistes de #Femal Pleasure sont liées par le combat contre les violences faites aux femmes et pour le droit de vivre librement leur sexualité, les deux étant intrinsèquement liés.
Des avancées d’une part et des inégalités persistantes de l’autre
Ces dernières années, d’autres décisions politiques et législatives ont fait avancer l’égalité et le respect des droits des femmes : le Kirghizistan et le Libéria ont adopté une loi contre les violences conjugales. Trinité-et-Tobago, le Honduras, le Guatemala, El Salvador, l’Inde et Malawi ont pris des mesures légales contre le mariage précoce. En outre, la Tunisie, la Jordanie et le Liban ont supprimé des lois dépénalisant le viol si le violeur se marie avec la victime. En Irlande, l’abrogation du 8e amendement de la Constitution – un texte qui limitait considérablement la possibilité de recours à une interruption de grossesse – a été accepté en juin 2018. En Colombie, la pression du mouvement féministe a permis que l’accord de paix entre l’Etat et les FARC prenne en compte les questions de genre. En effet, les répercussions du conflit armé ont été particulièrement tragiques pour les femmes noires, indigènes et paysannes dont le corps a souvent été converti en butin de guerre.
Si le mouvement de libération de la parole à l’œuvre a des impacts positifs non négligeables, la nécessité de mobilisation pour faire appliquer l’égalité de droits et de traitement est cependant toujours aussi nécessaire, comme en témoignent plusieurs actualités internationales. Ainsi, la Russie a aboli sa loi contre les violences conjugales au nom de la tradition nationale. Au Portugal, un tribunal a déconsidéré le témoignage d’une femme victime de violence conjugale parce qu’elle était « trop émancipée pour se laisser faire ». En Suisse, le Conseil fédéral a refusé une initiative proposant un congé paternité de 20 semaines. Ce refus a ensuite été nuancé par la proposition d’un congé paternité de deux semaines acceptée par le parlement. Cette proposition doit encore être soumise au vote comme contre-projet à l’initiative. La Suisse est le seul pays européen ne proposant pas de congé paternité ou parental.
Enfin, au niveau mondial, en 2018 les femmes gagnent en moyenne 20% de moins que les hommes. Ces statistiques menées sur les données de 136 pays. Dans les pays à hauts revenus, c’est parmi les hauts salaires que l’écart de rémunération entre les sexes est le plus marqué.
Revue de presse d’autres mouvements
Inde
Corée du Sud
http://www.rfi.fr/asie-pacifique/20180628-coree-sud-femmes-reseaux-sociaux-beaute
Chine
Moyen Orient
Turquie
http://cheekmagazine.fr/societe/turquie-sule-cet-feminicide/
Sources de l’article
https://www.equaltimes.org/quand-le-feminisme-mene-l-agenda?lang=fr#.XG1DTq17TVo
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article45070
http://www.garance.be/spip.php?article1169
https://labs.letemps.ch/interactive/2016/carte-conge-paternite/
https://www.ilo.org/global/about-the-ilo/newsroom/features/WCMS_650677/lang–fr/index.htm
[1] https://www.lesinrocks.com/2017/11/15/actualite/francoise-heritier-lanthropologue-qui-avait-demonte-les-idees-recues-sur-le-feminin-et-le-masculinmasculin-demontre-que-la-super-111009595