Précarité et logement : quelle réalité pour les femmes à Genève ?
Précarité et logement : quelle réalité pour les femmes à Genève ?
Un logement n’est pas simplement un toit sous lequel dormir. C’est un endroit où l’on peut poser ses affaires, investir à long terme et se sentir en sécurité. C’est aussi une condition indispensable pour accéder à d’autres droits fondamentaux, pour développer et renforcer son autonomie, sa liberté de mouvement ainsi que sa capacité d’action et de décision.
Or à Genève, le constat est sans appel : des classes sociales moyennes aux plus défavorisées, pour les personnes suisses mais aussi bien sûr pour les personnes migrantes ou requérantes d’asile, le logement constitue une des préoccupations (et des dépenses ! ) principales.
Dans le cadre de ses consultations, de son travail en réseau avec le Réseau Femmes[1]et le Collectif des Associations pour l’Action Sociale (CAPAS)[2], mais également au travers de projets récents tels que l’association Aux 6 logis[3], F-information est quotidiennement confrontée à la problématique du logement. Son public, constitué essentiellement de femmes (dont plus de la moitié sont non-suissesses et les trois quarts âgées de 30 à 50 ans), rencontre des difficultés d’accès au logement pour des raisons variées (statut de séjour, situation économique et/ou professionnelle précaires, séparation et/ou violences conjugales, etc.).
Quelles sont les vulnérabilités particulièrement présentes chez les femmes que F-information reçoit ? Comment ces vulnérabilités peuvent-elles freiner et même parfois bloquer l’accès à un logement pérenne ? Et face à ce constat, quelles solutions sont – ou doivent encore être – trouvées, à un niveau associatif, mais aussi et surtout, à un niveau institutionnel et politique ?
Le logement : une pierre angulaire de nos situations socio-économiques
Le logement est un des fondements qui se répercute ensuite – positivement en cas de logement stable, négativement en cas d’absence de celui-ci – sur notre situation socio-économique, professionnelle et familiale.
A Genève, malgré une multiplication des constructions ces dernières années, le manque endémique d’appartements est un facteur réel de précarité et/ou de précarisation. Les répercussions en cascade semblent alors quasi-inextricables : une personne n’ayant pas de logement fixe n’a pas le droit aux prestations sociales. Elle se retrouve d’autant plus précarisée et avec d’autant moins de chances de trouver un logement.
Alors qu’on pourrait penser que les difficultés d’accès au logement touchent indistinctement femmes et hommes, la réalité montre que les femmes sont particulièrement touchées. Ceci s’explique en grande partie par le fait que davantage de femmes sont exposées à la précarité, elle-même due entre autres aux discriminations dans le marché du travail, aux inégalités salariales, aux carrières interrompues, au travail à temps partiel, ou encore au choix de secteurs moins bien rémunérés. En outre, ce sont les femmes qui sont le plus souvent à la tête de familles monoparentales, configuration tout particulièrement touchée par les difficultés d’accès au logement (moins de pouvoir d’achat mais des besoins inchangés en termes de surface habitable). Finalement, l’absence de solutions de logement intervient souvent après une série de ruptures, qu’elles soient familiales, conjugales, professionnelles ou encore sociales.
Pour les personnes refugiées, des obstacles supplémentaires se dressent : moyens financiers très limités, pas ou peu de réseau à Genève, méconnaissance du fonctionnement du marché immobilier et des prestations sociales, mais aussi nom à consonance étrangère souvent sources de discrimination.
On peut dès lors affirmer qu’il existe une véritable sélection par « le haut » pour l’accessibilité aux logements, dont sont exclues les personnes « à risque » selon des critères de solvabilité, de statut socio-professionnel, d’origine ethnique etc. Une frange de la population n’accède ainsi pas au marché du logement ordinaire et doit se contenter d’autres formes d’hébergement (foyers, hôtels, abris de la protection civile, famille, ami-e-s, etc.).
Victimes de violences domestiques et logement
Au vu du contexte immobilier genevois, la difficulté de trouver un logement peut constituer un frein pour des femmes victimes de violences souhaitant quitter au plus vite leur domicile ou dans l’attente d’un jugement leur attribuant ce dernier en cas de séparation pour les couples mariés ou pacsés. Dans la pratique, on constate que l’homme est bien souvent le bénéficiaire du logement (signataire du bail) ou le propriétaire.
Outre le manque criant de places d’hébergement d’urgence pour les personnes victimes de violences domestiques à Genève, le Bureau de la promotion de l’Egalité entre femmes et hommes et de prévention des violences domestiques(BPEV) dresse un constat sans appel dans son rapport[4]publié en avril 2019 : la proportion de personnes emménageant dans un logement pérenne à la sortie d’un foyer est faible. Ceci est dû entre autres à la temporalité des décisions de justice et leur application, au marché du logement genevois et à la précarisation des situations de personnes hébergées en foyer. Cette difficulté pose la question d’une éventuelle priorité d’accès aux logements subventionnés pour les personnes victimes de violence, et renforce l’importance des logements relais qui peuvent faire office de « transition » et constituer des intermédiaires auprès des régies.
Le logement-relais consiste en un logement autonome pour une durée déterminée avec un accompagnement psychosocial. Il permet une transition entre l’hébergement en foyer et le logement privé. L’association Aux 6 logis, créée en 2016 à l’initiative de 3 associations du Réseau Femmes (Aspasie, F-information et SOS Femmes), compte actuellement 6 logements qui permettent d’héberger 6 familles ou femmes seules. Le volet « hébergement » s’accompagne d’un volet « accompagnement social » sur une période de 18 mois maximum. Dans ce laps de temps, les femmes sont soutenues sur les plans social, économique, administratif, personnel mais aussi en termes de recherche de logement grâce à un travail de relais auprès des régies (privées et publiques). Depuis le début du projet, toutes les femmes hébergées ont pu sortir du dispositif avant le délai des 18 mois et trouver un logement stable.
Logement d’urgence : d’une « Halte de nuit temporaire » à un « Dispositif de nuit »
Face au constat du manque de logements pour les personnes précarisées et sans abri à Genève, 8 associations (l’Armée du Salut, Bateau Genève, Caritas, CSP, Espace Solidaire Pâquis, la Roseraie, le CARÉ et Première Ligne) – dont 7 font partie du CAPAS – se sont récemment constituées en Collectif afin d’alerter des pouvoirs publics. C’est finalement le CAPAS qui va être « porteur » de ce projet.
Cette mobilisation résonne tout particulièrement en fin d’hiver, lorsque les deux abris de protection civile mis à disposition des sans-abris par la Ville de Genève ferment. La première action, lors de laquelle 200 tentes sont montées sur la Plaine de Plainpalais, a connu un fort retentissement médiatique et a contribué à amener la thématique du mal logement sur le devant de la scène. Une halte de nuit temporaire s’est formée à la hâte dans les locaux du CARÉ. Fonctionnant dans un premier temps grâce à une équipe de bénévoles, le Département de la Cohésion Sociale a finalement alloué une enveloppe budgétaire de CHF 20’000.-. En mai 2019, le Conseil municipal de la Ville de Genève a décidé d’octroyer un financement de 1 million de francs pour un « Dispositif de nuit » impliquant la Halte de nuit et plusieurs Sleep-in[5]. Les premiers Sleep-in ouverts se situent au Temple de Châtelaine et au Temple de la Fusterie (2 Sleep-in mixtes de 30 places), ainsi qu’au Poste Verdaine de l’Armée du Salut (15 places exclusivement pour les femmes). Enfin, un « Sleep-in » de 15 places adapté aux personnes usagères de drogues ouvrira prochainement au Quai 9. Le dispositif est itinérant et les lieux sont donc amenés à changer.
Après cette première victoire, l’objectif est que la ligne budgétaire soit pérennisée afin de répondre de manière durable et réaliste à la problématique de l’hébergement d’urgence à Genève, mais aussi de travailler en amont sur les causes.
En bref, plusieurs démarches complémentaires sont nécessaires pour changer les inégalités, vulnérabilités voire discriminations actuelles. D’une part, porter une attention toute particulière aux difficultés d’accès à un logement – quel qu’il soit – pour les femmes, en prenant en considération l’accumulation des difficultés (sociales, familiales, économiques). Ainsi, imaginer un accès prioritaire aux logements subventionnés pour les femmes victimes de violences conjugales, au vu de leur situation personnelle urgente, est une piste de réflexion.
De l’autre, porter une attention tout particulière aux moments de « transition » entre différents types de logement, en l’occurrence d’un logement temporaire ou d’un foyer vers un logement plus stable, plus digne. Les logements relais permettent parfois de faire ce lien entre hébergement d’urgence et logement pérenne. Dans le cas où la personne habite déjà dans un logement relais, maintenir un important accompagnement social et administratif peut faciliter l’accès – ou le retour – à un logement pérenne.
Finalement, une meilleure information[6]sur les logements sociaux et les démarches administratives nécessaires pour s’inscrire à des coopératives ou auprès des bailleurs publics de logements sociaux est également essentielle.
Lien utile :
La brochure «Lieux d’accueil d’urgence à Genève»compile tous les lieux dans lesquels les personnes en situation de précarité peuvent être hébergées, mais aussi se restaurer, se laver ou se soigner : http://www.ville-geneve.ch/fileadmin/public/Departement_5/Publications/lieux-accueil-urgence-geneve.pdf
[1]Le Réseau Femmes se compose de neuf associations féminines prestataires de service, subventionnées par la République, le Canton et la Ville de Genève : Aspasie, Association CEFAM, Camarada, Découvrir, F-Information, Lestime, AVVEC, SOS Femmes et Voie F.
[2]Le CAPAS est un collectif composé de 45 associations actives dans le domaine de l’action sociale
[4]Selon les chiffres donnés par le foyer Le Pertuis et l’UMUS (Unité mobile d’urgences sociales), 30 à 40% des situations sont orientées à l’hôtel. (Rapport du département des finances et des ressources humaines sur l’hébergement d’urgence et de suite à destination des personnes majeures victimes ou auteures de violences domestiques à Genève, avril 2019, Bureau de la promotion de l’Egalité entre femmes et hommes et de prévention des violences domestiques)
[5]La Halte de nuit consiste en un abri sécurisant ouvert entre 19h et 8h nuit avec des places assises, des collations et boissons chaudes et des sanitaires. Elle constitue une porte d’entrée et d’orientation vers les « sleep-in », qui quant à eux mettent à disposition des lits d’appoint ainsi que des sanitaires.
[6]Pour plus d’information sur les logements sociaux à Genève, voir le Bon à Savoir de F-information « Du logement subventionné à l’allocation logement«