Augmenter les rentes et pas l’âge de la retraite
Augmenter les rentes et pas l’âge de la retraite
À F-information, nous ne prenons que rarement position sur une votation, valorisant la pluralité des points de vue et le libre arbitre de chacune. Mais quand les enjeux concernent et impactent toutes les femmes*, un positionnement est indispensable.
On ne vous apprend rien: la réforme en cours AVS21 se réalise au détriment des femmes, et en particulier de celles en situation de précarité. Si le référendum a abouti en un temps record, les sondages sont pourtant pessimistes… mais tout n’est pas encore joué, et il est essentiel qu’un maximum de personnes aille voter 2 x NON le 25 septembre prochain[1]. Et si nous en avons l’occasion et/ou l’énergie, que nous allions convaincre nos amis du genre masculin.
Le constat est clair
Aujourd’hui, avec le coût de la vie, les rentes AVS sont trop basses pour permettre une existence digne à la retraite. Selon la constitution fédérale, l’AVS doit «couvrir les besoins vitaux de façon appropriée» et les rentes «sont adaptées au moins à l’évolution des prix». Hors, les rentes sont trop basses. En 2020, leur montant médian est de 1769.- francs suisses pour les femmes (pour 1934.- pour les hommes)[2]. Cela implique qu’une personne sur dix a besoin de prestations sociales complémentaires à la retraite!
Une controverse existe autour du problème structurel des finances de l’AVS: besoins accrus pour cause de vieillissement de la population versus résultats excédentaires, réserves et solidarité. Le débat fuse entre les arguments de part et d’autre[3]. Si des réformes doivent avoir lieu pour que la retraite puisse être à la hauteur des besoins, il n’est cependant pas acceptable que les femmes en assument principalement les conséquences alors que les inégalités salariales persistent et que leurs rentes restent moindres. «Nous parlons des bas salaires des femmes? On nous enjoint de travailler davantage. Comme s’il suffisait de demander une hausse du taux d’activité pour l’obtenir. Comme si on avait assez de places d’accueil pour les enfants. Comme si concilier travail et famille n’était pas un casse-tête au quotidien. Comme s’il n’y avait pas de femmes qui travaillent à plein temps pour moins de 4000 francs par mois. Et comme si les femmes ne travaillaient pas déjà autant que les hommes si on prend en compte le travail domestique, éducatif et de soins qu’elles assument encore en majorité et gratuitement.»
Pourquoi les femmes ont-elles des rentes plus basses à la retraite?
Malgré des années de lutte et de dénonciation – qui ont permis quelques (insuffisantes) améliorations – les inégalités salariales persistent et ont un impact direct sur la retraite des femmes. Comme elles gagnent en moyenne 20 % de moins que les hommes[4], les cotisations employeurs-employé·es sont alors moindre et impactent le calcul final de la rente à la retraite.
Par ailleurs, les femmes occupent plus souvent des emplois à temps partiels – 6 femmes sur 10 pour 2 hommes sur 10. Et nombre d’entre elles ont arrêté de travailler, temporairement ou durablement, pour s’occuper de leurs enfants. Ce qui implique à nouveau des cotisations moindres et donc des retraites plus basses.
Au final, les rentes des femmes sont 37 % inférieures à celles des hommes.
Enfin l’AVS n’est qu’une part dans la discussion sur les revenus des femmes à la retraite. Comme le 1er pilier est insuffisant, le 2e pilier est actuellement indispensable pour vivre correctement. Mais ce dernier, uniquement obligatoire pour les salarié·es, pénalise les femmes qui n’ont pas travaillé toute leur vie ou qui ont travaillé à temps partiel. Plutôt que de miser sur le 2e pilier, encore inaccessible pour beaucoup et donc discriminant, revalorisons les retraites de tout le monde et des femmes en particulier!
Les arguments de celles et ceux qui prônent l’égalité de l’âge de la retraite vers le haut ne tiennent pas compte de l’ensemble des inégalités qui interviennent tout au long de la vie des femmes.
Au-delà de la sphère professionnelle brièvement cité plus haut, les inégalités restent également fortes au sein du foyer. Les tâches ménagères sont toujours inégalement réparties[5] (70 % des charges sont prises par les femmes[6]), les tâches du care ne sont pas valorisées et la charge mentale, difficilement quantifiable, pèse davantage sur les femmes. Un travail non rémunéré qui n’est pas considéré lors de la retraite.
Pistes d’action
Pour augmenter les revenus de l’AVS, il faut surtout agir sur les salaires. Lutter contre les inégalités salariales et payer les femmes de la même façon que les hommes. Augmenter les bas salaires qui ne suivent pas le coût de la vie ni la productivité des entreprises – quel scandale que 10 % de la population suisse vive dans la pauvreté! Lutter contre le travail au noir. Enfin augmenter les cotisations, voire solliciter la Banque Nationale Suisse ou passer par l’impôt. D’autres solutions que celles prônées par AVS21 existent.
Quelques mythes sont à déconstruire
- Non, l’augmentation de la durée de vie ne sera pas toujours croissante, la courbe s’aplatit déjà et n’est pas identique selon les pays.
- Rappelons aussi que les différences de revenu ont une influence sur la santé: les bas revenus ont encore moins la possibilité de prendre une retraite anticipée. Celles et ceux qui ont un meilleur revenu vivent plus longtemps et bénéficient donc plus longtemps de la retraite, tout en recevant des rentes plus élevées!
- Si les femmes vivent un peu plus longtemps que les hommes, elles ont le même nombre d’années de vie «en bonne santé» (la moyenne de vie en bonne santé est de 68 ans, soit 3-4 ans après la retraite…).
«Il y a un objectif collectif à atteindre: au lieu d’augmenter, nous devons plutôt baisser l’âge de la retraite pour tout le monde! (…) Nous arrivons ainsi à l’égalité de l’âge de la retraite tant demandé par les partisans de la réforme AVS21 et nous luttons contre le chômage des séniors. Nous reconnaissons ainsi le travail non rémunéré assumé par les jeunes retraité·es, en particulier la garde des enfants, dont un sur trois sont gardés par les grand-parents, mais aussi des proches aidant·es. Nous profitons ainsi de plus d’années de retraite en bonne santé, d’une vie qui ne se résume pas à gagner de l’argent sans avoir de temps pour le dépenser, mais surtout sans temps pour soi et les autres. Nous devons baisser le temps de travail de manière générale, car nous avons besoin de temps pour s’occuper de nous-même et de nos proches, mais aussi pouvoir mettre en œuvre les transformations d’habitudes indispensables à la transition climatique. [7]»
A lire également l’article «coup de projecteur» rédigé par F-information sur les femmes séniores (septembre 2022).
Et maintenant, aux urnes, votez NON le 25 septembre, et parlez-en autour de vous!
Notes
* Nous employons dans ce texte le féminin générique. L’appellation «femme» désigne toute personne qui se reconnaît en tant que femme ou socialisée en tant que telle.
[1] https://avs21-non.ch/#video
[2] https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/securite-sociale/rapports-prevoyance-vieillesse/statististique-nouvelles-rentes.html
[3] https://www.letemps.ch/opinions/seul-un-non-avs-21-feministe et https://www.letemps.ch/opinions/avs-21-un-oui-feministe
[4] https://www.ebg.admin.ch/ebg/fr/home/themes/travail/egalite-salariale/bases/chiffres-et-faits.html À noter que Les écarts de rémunération entre femmes et hommes varient considérablement d’une branche économique à l’autre: 8,1%, dans l’hôtellerie-restauration, 17,7% dans le commerce de détail et 33,4% dans les activés financières et d’assurance. https://www.rts.ch/info/suisse/11993987-les-inegalites-salariales-ont-persiste-entre-les-sexes-en-2018.html
[5] À lire entre autres https://www.rts.ch/info/suisse/12213521-les-femmes-font-50-de-plus-de-taches-domestiques-que-les-hommes.html et https://www.swissstats.bfs.admin.ch/collection/ch.admin.bfs.swissstat.fr.issue210110112100/article/issue210110112100-09
[6] https://www.lemonde.fr/m-perso/article/2020/04/20/nos-vies-confinees-les-femmes-accomplissent-70-en-moyenne-du-travail-familial-et-domestique_6037206_4497916.html
[7] À lire sur le blog de Léonore Porchet https://leonoreporchet.ch/avs21/