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Comment me protéger au sein du couple, si je ne souhaite pas me marier ?

Mai 2024, M.Pernet, juriste

Ce qui est passionnant lorsqu’on travaille dans une association comme F-information, c’est que nous avons accès aux témoignages de vie des nombreuses femmes*[1] qui viennent nous consulter. Malgré la multitude de formes de couple et les particularités de chaque histoire, nous sommes forcées de constater que les relations amoureuses sont malheureusement des terrains propices à la reproduction des schémas de domination patriarcale.

Nous vivons une période phare de déconstruction des rapports amoureux. De nombreux livres, articles et podcasts s’emparent de ce sujet. De moins en moins de couples se marient et de plus en plus de partenaires souhaitent garder leur indépendance. Or, le simple fait de cohabiter dans un système-famille crée des liens d’interdépendance[2]. En effet, les partenaires se partagent les rôles concernant le travail hors du foyer (rémunéré) et le travail ménager (non rémunéré), investissent ensemble de l’argent pour le logement et l’entretien de la famille, élèvent des enfants communs et non communs… En découlent toute une série de problématiques juridiques et un besoin de protection, qui s’accentue au moment d’une éventuelle séparation.

Les droits du mariage, du divorce et des assurances sociales ont instauré des mécanismes de « protection de la partie faible », historiquement conçus pour protéger la ménagère divorcée et la veuve. Ces protections ne s’appliquent pas aux unions libres, car la communauté de vie n’engendre pas de devoir d’assistance réciproque. La législation prend parfois en compte le lien existant de fait entre les partenaires en union libre, mais ne permet pas de régler l’entier des conséquences de la vie commune ou séparée. Par exemple, la législation ne prévoit pas de versement d’une contribution d’entretien au profit de l’ex-partenaire, ni de devoir de renseigner sur sa situation financière. En cas de conflit, les partenaires peuvent entreprendre une médiation ou solliciter l’intervention d’un tribunal, qui appliquera les règles ordinaires de droit privé et la jurisprudence, ce qui peut s’avérer très coûteux, complexe et fastidieux. Nous conseillons donc aux partenaires en union libre de signer une convention de concubinage, afin d’adapter leurs règles à leur mode de vie, de protéger les droits de chacune et chacun et d’éviter les conflits coûteux et inutiles en cas de séparation.

Dans ce Bon à savoir, nous présentons différents aspects de la vie du couple ou de la famille qui peuvent être réglés dans une convention de concubinage.

  1. Répartition des tâches pendant la vie commune

La majorité des disparités observées au sein des unions libres provient des choix d’organisation de la vie commune, de la répartition des tâches au sein de la famille et du mode de contribution à l’union[3]. Nous ne le répéterons jamais assez, le travail du « care » est indispensable au bon fonctionnement du système et de la famille. Par travail du « care » nous désignons notamment la gestion et l’éducation des enfants, le travail ménager, le soutien à d’autres membres de la famille âgés ou dans le besoin et l’aide à l’activité du partenaire, sans compensation salariale. La société entière profite du renouvellement démographique et de la gestion privée des enfants et des personnes âgées ou dans le besoin. Pourtant, le travail du « care » au sein des couples n’est encore pas assez considéré et surtout, il n’est pas rémunéré.

Malgré la modernisation du monde du travail et des modes de vie, nous constatons que dans la plupart des familles, c’est encore très souvent la femme* qui réduit son temps de travail pour s’occuper du travail éducatif et ménager[4]. Ce faisant, elle renonce à développer sa carrière, à obtenir un salaire plus élevé et de meilleures cotisations pour sa retraite. Ce « choix » de réduire son temps de travail est dicté par plusieurs raisons : culturelles, de disparité salariale et de carence de structures accessibles de prise en charge des enfants.

Ainsi, en l’absence d’un devoir d’assistance au sein des unions libres, nous conseillons aux partenaires de fixer, dans une convention de concubinage, la façon dont chacune et chacun apporte sa contribution à l’entretien du ménage et de la famille. Lors de la rédaction de cette convention, nous encourageons les partenaires à évaluer, estimer et considérer le travail du « care », pour se rendre compte de son importance, de sa valeur économique et de ses conséquences. Ainsi, la personne qui travaille hors du foyer peut, dans un esprit d’équité, s’engager à dédommager la personne qui s’occupe du ménage, des proches et des enfants et prévoir une compensation des lacunes de l’AVS et de la LPP. Les partenaires peuvent également prévoir de partager les frais d’entretien du ménage au prorata de leurs revenus, par exemple en versant une somme mensuelle fixe sur un compte commun.

  1. Logement

Contrairement aux personnes mariées, les partenaires en union libre ne bénéficient pas d’un régime légal de protection du logement commun. Ainsi, si le bail est au nom d’un.e seul partenaire, l’autre n’a aucun droit face au bailleur, ni aucune responsabilité. Il est donc recommandé d’établir un bail aux deux noms, ou de prévoir un contrat de sous-location pour l’autre partenaire et de l’annoncer à la gérance. Les partenaires deviennent alors solidairement responsables du paiement du bail et ne peuvent le résilier que d’un commun accord.

Pour les propriétaires, il est conseillé d’établir une convention de copropriété, pour que les partenaires deviennent solidairement responsables de l’entretien et des charges et que le logement ne puisse pas être vendu sans l’accord de l’autre. Autrement, les partenaires peuvent convenir d’un droit d’habitation dans le logement commun, prévoyant un délai raisonnable de résiliation.

Dans tous les cas, nous conseillons aux partenaires en union libre de tenir une comptabilité spécifique pour le logement, précisant qui a investi quel montant et qui est propriétaire de quel bien.

  1. Enfants communs

La filiation maternelle est établie par la naissance de l’enfant. En dehors du mariage, la filiation avec l’autre parent s’établit par une reconnaissance pré ou post-natale ou par une décision du tribunal. L’adoption conjointe n’est pas ouverte aux partenaires en union libre. Une personne peut adopter individuellement, puis l’enfant peut être adopté par l’autre partenaire, à condition de faire ménage commun depuis au moins trois ans et de ne pas être mariée.

Les parents peuvent signer une déclaration d’autorité parentale conjointe et choisir l’attribution de la bonification pour tâches éducatives, qui prend en compte le soin apporté à l’enfant âgé de moins de 16 ans dans le calcul de l’AVS. En cas de désaccord, les parents peuvent s’adresser à l’autorité de protection de l’enfant du lieu de domicile de l’enfant.

En ce qui concerne l’obligation d’entretien de l’enfant, elle ne dépend pas de l’état civil. Les parents ont un devoir d’entretien envers leur enfant, dès que le lien de filiation est établi (art. 276 CC). En cas de vie séparée, on calcule une contribution d’entretien pour l’enfant[5]. Si l’un des parents diminue son temps de travail pour prendre en charge l’enfant, le coût de cette prise en charge doit être calculé dans la contribution. En cas de désaccord concernant l’entretien financier de l’enfant commun, les parents peuvent s’adresser au tribunal de première instance du lieu de domicile de l’enfant.

Nous recommandons aux parents de réfléchir au mode de garde, pendant l’union et en cas de séparation. Il nous semble par ailleurs essentiel de prévoir un dédommagement en faveur du parent qui renonce ou diminue son activité lucrative pour s’occuper des enfants. Nous recommandons également aux partenaires de réfléchir au partage des frais en tenant compte de leurs différences revenus.

  1. Représentation et décès

Contrairement aux personnes mariées, les partenaires en union libre ne disposent pas d’un droit légal de représentation. Ainsi, lorsqu’une personne souhaite se faire représenter par son ou sa partenaire en cas de perte de discernement, il est recommandé de constituer un mandat pour cause d’inaptitude, notamment pour la gestion du patrimoine et la représentation dans les rapports juridiques avec les tiers.

Dans le domaine médical, l’article 378 al. 1 ch. 4 CC prévoit que la personne qui fait ménage commun avec une personne incapable de discernement et qui lui fournit une assistance personnelle régulière est habilitée à la représenter et à consentir ou non aux soins médicaux que le médecin envisage de lui administrer. Il peut tout de même être utile de rédiger des directives anticipées. 

En cas de décès, l’autre partenaire n’a pas la qualité d’héritier légal. Afin de remédier à cela, il est conseillé de rédiger un testament, pour lui léguer la part qui n’est pas réservée aux héritiers légaux, ou un pacte successoral. Par ailleurs, les partenaires en union libre n’ont pas droit à une rente de survivant, même en présence d’enfants communs. Des prestations du 2ème pilier surobligatoire peuvent lui revenir, seulement si le règlement de l’institution de prévoyance de la personne défunte le prévoit (art. 20a LPP)[6]. Pour remédier à cette absence de droits en matière d’assurances sociales, les partenaires en union libre peuvent prendre des dispositions de prévoyance individuelle (3ème pilier), notamment sous forme d’épargne bancaire ou de contrat d’assurance vie.

  1. Séparation

Une séparation est une période délicate, un bouleversement des repères et des habitudes qui nécessite des réorganisations concrètes et psychologiques. Quiconque a déjà connu une rupture confirmera qu’on est toujours plus sages et solidaires avec sa ou son partenaire lorsque le couple fonctionne, plutôt qu’au moment où il bat de l’aile. D’où l’importance de définir le rôle et les prétentions économiques de chacune et chacun pendant l’union, et de planifier en amont l’éventuelle séparation. Les points essentiels à prévoir sont l’éventuelle contribution d’entretien, la garde des enfants communs, ainsi que le sort du logement familial, des biens et du patrimoine.

A défaut de convention, les ex-partenaires peuvent saisir un tribunal en cas de désaccord. Les juges appliquent alors les règles ordinaires de droit ou les règles de la société simple, selon les circonstances du cas concret[7]. Bien que cela ne soit pas impossible, il est difficile d’avoir une idée précise des droits et obligations qui découlent d’un concubinage, en l’absence de convention. Il règne donc un sentiment d’insécurité juridique. Les procédures devant les tribunaux sont par ailleurs complexes, longues et coûteuses.

  1. Conclusion

Dans ce Bon à savoir, nous donnons quelques recommandations pour protéger la « partie faible ». Bien entendu, chaque couple est libre de définir son niveau d’engagement et d’investissement. Une union libre informelle ne pose aucun problème lorsque les deux partenaires ont une indépendance économique et lorsqu’il n’y a pas d’enfant.

Dans tous les cas, il est préférable pour les partenaires de définir ensemble quelle est la forme de leur union, afin de pouvoir se positionner en connaissance de cause, de connaitre leurs droits et leurs devoirs et de se protéger, si besoin. Pour rédiger une convention de concubinage, les partenaires peuvent notamment s’adresser à F-information, à la Chambre des notaires de Genève, au Bureau Information Femmes (bif) à Lausanne ou à myright.ch. Il est également possible d’établir un pacs cantonal genevois, pour faire reconnaitre le statut de couple et assimiler les partenaires à des personnes mariées dans les procédures judiciaires[8].

  1. Exemples de clauses

Afin d’illustrer nos propos de manière concrète, nous proposons pour terminer quelques exemples de clauses qui peuvent figurer dans une convention de concubinage[9].

But de la communauté de vie :

Exemple dans lequel les partenaires choisissent d’appliquer les règles de la société simple :

  • Les parties conviennent d’unir leurs efforts et leurs ressources dans le but de fonder une famille et d’assurer la prospérité de leur communauté. Elles concluent ainsi un contrat de société simple (art. 530ss CO).

Exemple dans lequel les partenaires choisissent l’indépendance financière :

  • Les parties sont économiquement indépendantes l’une de l’autre. Chacune est responsable de son propre entretien.

Contribution d’entretien :

Exemple dans lequel A réduit son taux de travail de 20% pour s’occuper d’un enfant :

  • Étant donné que A renonce, à la naissance du premier enfant, à 20% de travail rémunéré supplémentaire par rapport à B, B verse à A un montant équivalent au 10% de son salaire jusqu’à la 10ème année du plus jeune enfant.

Prévoyance :

Exemple dans lequel A réduit son taux de travail à 50% :

  • Les parties s’engagent à compenser les lacunes de prévoyance subies par A en raison du choix de réduire son activité à 50% en accord avec B.
  • Pendant la durée de l’union, B s’engage à constituer à ses frais, mais pour le compte de A, une prévoyance professionnelle liée 3a auprès de la Banque X.
  • L’obligation de B prend fin 6 mois après la fin de l’union ou lorsque A reprend une activité à temps plein.

Entretien post-union :

Exemple dans lequel A est mère au foyer :

  • Les parties ont décidé d’un commun accord que A s’occupe du ménage afin de permettre à B de s’investir dans sa carrière professionnelle. Elles supportent donc ensemble les conséquences financières de la répartition des tâches.
  • En cas de séparation, A s’engage à mettre tout en œuvre pour reprendre une activité lucrative lui permettant de subvenir à ses besoins. B s’engage à lui verser :
      • CHF … jusqu’à la 3ème année du plus jeune enfant ;
      • CHF … jusqu’à la 10ème année du plus jeune enfant ;
      • CHF … jusqu’à la 16ème année du plus jeune enfant.
  • B ne sera plus tenu de verser de contribution à A au-delà du 16ème anniversaire du plus jeune enfant.

Compte commun :

Exemple dans lequel A et B partagent les frais par moitié :

  • A et B conviennent d’une répartition des frais communs par moitié.
  • A et B sont cotitulaires du compte X et sont copropriétaires des avoirs du compte à raison de la moitié chacun.e.
  • En cas de dissolution de l’union, les actifs ou les passifs du compte sont partagés par moitié.

Exemple dans lequel A est mère au foyer :

  • A et B sont cotitulaires du compte X et sont copropriétaires des avoirs du compte à raison de la moitié chacun.e.
  • Le compte est alimenté exclusivement par B, qui s’engage à verser 75% de ses revenus nets annuels (impôts déduits).
  • En cas de dissolution de l’union, les actifs ou les passifs du compte sont partagés par moitié.

 

  1. Quelques ouvrages pour aller plus loin, à emprunter à la bibliothèque Filigrane!
  • Réinventer l’amour : comment le patriarcat sabote les relations hétérosexuelles, Mona Chollet, Zones, 2021
  • Le prix à payer : ce que le couple hétéro coûte aux femmes , Lucile Quillet, Les liens qui libèrent, 2021
  • Le couple et l’argent : pourquoi les hommes sont plus riches que les femmes, Titiou Lecoq, L’iconoclaste, 2022
  • Devenir parents, devenir inégaux, Jean-Marie Legoff, René Lévy, Seismo, 2016
  • Travail gratuit : la nouvelle exploitation ?, Maud Simonet, Textuel, 2018
  • Travail gratuit et grèves féministes, Silvia Federici, Maud Simonet, Morgane Merteuil, Morgane Kuehni, Entremonde, 2020
  • Avant 8 heures, après 17 heures : capitalisme et reproduction sociale, Tithi Bhattacharya, Blast, 2020
  • The fair play deck : a couple’s conversation deck for prioritizing what’s important, Eve Rodsky, Clarkson Potter, 2020

Un jeu de conversation pour accompagner les couples à mieux organiser les tâches domestiques et créer un partenariat plus équitable. Le jeu en anglais.

  • Le genre du capital : enquêter sur les inégalités dans la famille , Céline Bessière, Sibylle Gollac, Jeanne Puchol, La Découverte-Delcourt, 2023

Une enquête au format de bande-dessinée sur les mécanismes qui conduisent aux inégalités de patrimoine non seulement entre familles de classes sociales différentes, mais aussi, au sein de ces familles, entre femmes et hommes. Un roman graphique qui éclaire le rôle de la famille dans la perpétuation des inégalités de richesse.

  • L’économie du couple, Jocahim Lafosse, Le Pacte, 2016

Après 15 ans de vie commune, Marie et Boris se séparent. Or, c’est elle qui a acheté la maison dans laquelle ils vivent avec leurs deux enfants, mais c’est lui qui l’a entièrement rénovée. A présent, ils sont obligés d’y cohabiter, Boris n’ayant pas les moyens de se reloger. A l’heure des comptes, aucun des deux ne veut lâcher sur ce qu’il juge avoir apporté.

Notes

[1] Dans ce Bon à savoir, nous écrivons « femme(s)* » pour nous référer au groupe social qui se compose de femmes cisgenres, de femmes transgenres et de toute personne subissant les violences patriarcales sur la base de leur expression de genre.

[2] Francesca Ranzanici Ciresa, Le concubinage en droit suisse, p. 57.

[3] Francesca Ranzanici Ciresa, Le concubinage en droit suisse, p. 85.

[4] Selon l’Office fédéral de la statistique de la Confédération suisse, 78% des mères actives occupées qui élèvent des enfants de moins de 25 ans travaillent à temps partiel, alors que seul 12% des pères actifs qui vivent avec des enfants de moins de 25 ans travaillent à temps partiel. Rapport statistique 2021 – Les familles en Suisse. 

[5] Pour comprendre comment calculer une contribution d’entretien, voir le Bon à savoir « Entretien des membres de la famille en cas de séparation, dissolution de partenariat ou divorce : une méthode obligatoire dans toute la Suisse ».

[6] Pour aller plus loin, voir le Bon à savoir « Comprendre le système suisse des retraites ».

[7] Par exemple, l’union libre peut être qualifiée de société simple en cas d’exploitation en commun d’une entreprise ou en cas d’achat en commun d’une maison. Il n’y a en revanche pas d’application des règles de la société simple lorsque les partenaires ont conservé une indépendance pendant l’union, même en cas de déséquilibre financier.

[8] Attention, le pacs cantonal n’a pas d’effet en droit des successions, droit des migrations, droit fiscal ou droit des assurances sociales et de la prévoyance professionnelle. Plus d’information sur le pacs cantonal genevois 

[9] Ces exemples sont tirés du livre de Francesca Ranzanici Ciresa, Le concubinage en droit suisse.