Migration et emploi : quels défis, quelles pistes d’action ?
Migration et emploi : quels défis, quelles pistes d’action ?
L’accès pour celles qui le souhaitent à un emploi digne et correspondant à leurs compétences est un objectif pour lequel nous nous engageons à F-information. Aussi bien dans le cadre de nos consultations professionnelles, de nos bilans-portfolio de compétences ou de nos ateliers professionnels que dans nos autres consultations ou activités collectives, nous considérons l’activité professionnelle comme une composante essentielle à l’auto-détermination des femmes*. Ainsi, cette activité peut avoir des conséquences sur la vie personnelle et familiale, mais aussi bien sûr financière et administrative de la personne.
Nous accompagnons nos consultantes dans un marché de l’emploi malheureusement encore discriminant et semé d’embuches, que ce soit en lien avec le genre, l’âge[2], ou encore l’origine et le parcours migratoire.
Dans cet article, nous nous intéresserons aux obstacles que les personnes issues de la migration, et plus spécifiquement les femmes, rencontrent au moment de chercher un emploi, mais également aux démarches entreprises pour y parvenir. Trouver – ou retrouver – un emploi suite à un parcours migratoire constitue un pas vers une intégration sociale, une indépendance financière, et un sentiment d’appartenance envers la société d’accueil. Si certains obstacles semblent communs à de nombreuses femmes issues de la migration, il existe bien entendu une diversité de situations (selon le statut de séjour, le niveau de formation ou encore la connaissance de la langue française) dont nous tenterons de rendre compte dans cet article. Nous ébaucherons également des pistes de solutions mises en place par les personnes concernées, avec le soutien de certaines associations.
Quelles réponses face à des obstacles partagés ?
Des cours de français axés sur l’emploi
Parmi les obstacles qu’une grande partie des femmes issues de la migration rencontrent au moment d’une recherche d’emploi, on peut nommer un manque de maîtrise de la langue française et un faible réseau social. Face à ce constat, des associations comme Découvrir, Voie-F ou Camarada proposent des cours de français « axés sur l’emploi ». Par exemple, Découvrir axe l’un de ses cours sur la présentation orale du parcours professionnel, la rédaction d’un CV ou d’une lettre de motivation, ainsi que sur la présentation d’un projet professionnel.[3] La même association propose différentes activités de mentorat durant lesquels « des événements en lien avec leurs domaines professionnels viennent dynamiser le programme et donnent aux participantes l’opportunité d’échanger et de développer leur réseau » [4].
Des solutions de garde pour concilier famille et travail
La problématique de la garde des enfants et du manque d’accès aux institutions de la petite enfance est également largement sur-représentée parmi les femmes issues de la migration. Cette préoccupation est partagée par les femmes ayant grandi ici, avec comme différences principales la présence d’un réseau familial et social, ainsi qu’une situation financière souvent meilleure permettant de trouver plus facilement des solutions de garde. Dans tous les cas, le besoin de régler cette question avant de pouvoir s’occuper de son insertion professionnelle fait partie des constats de F-information comme de nombreuses autres associations.[5] Si l’association Camarada propose une garderie pour les femmes qui suivent ses cours, ce type de prestation reste marginale au sein des associations intervenant dans le champ de l’insertion professionnelle. Néanmoins, nombreuses sont celles qui, comme F-information, analysent la situation de la consultante dans sa globalité et l’accompagnent dans ses recherches (à la fois financières et administratives) pour trouver des solutions de garde.
Changer de regard sur les compétences
Finalement, un frein psychologique important bien qu’infondé subsiste dans le marché de l’emploi : le terme de « personne migrante » n’est en général pas associé à une personne qualifiée[6]. Pour les personnes en demande d’asile notamment, l’idée selon laquelle elles ne seraient pas ou peu qualifiées est parfois renforcée par les « trous » laissés par le parcours migratoire sur les CV ou par le fait que le format de ce type de document n’est pas adapté à des parcours « atypiques »[7]. De nombreux témoignages font état d’un manque de soutien, voire de tentatives de découragement de la part des services sociaux, pressurisés pour faire « sortir » les personnes au plus vite de l’aide sociale. Cette logique entraîne une déqualification (soit une baisse ou une perte de la qualification professionnelle) temporaire voire définitive et fréquemment l’obligation de se reconvertir [8].
En outre, selon la formation et le secteur professionnel initial de la personne, la nécessité d’entreprendre des formations complémentaires s’impose parfois. Celles-ci sont souvent coûteuses en temps et en argent. Les femmes doivent alors trouver des solutions pour financer lesdites formations et, comme évoqué plus haut, pour garder leurs enfants si elles en ont. Selon le métier, la question de la langue peut également être rédhibitoire. Par exemple, il sera difficile d’exercer en tant que psychologue ou avocate si on ne le fait pas dans sa langue maternelle ; sans même mentionner l’obligation de devoir parfois refaire un cursus intégral en Suisse si on n’a pas pu faire reconnaître son ou ses diplômes.
Face à ces constats, les associations comme Découvrir propose un accompagnement personnalisé dans les démarches de reconnaissance des diplômes et des compétences acquises à l’étranger.[9] Nos bilans-de compétences à Genève à F-information mettent également l’accent sur la valorisation des compétences (qu’elles soient professionnelles ou non, et acquises lors d’activités rémunérées ou non) et proposent un accompagnement personnalisé prenant en compte les différentes réalités (formation(s) passée(s), besoin de formation(s) future(s), niveau de langue, situation personnelle et familiale, domaine de compétences, etc.)
En bref, le changement de regard et la valorisation des compétences au sens large du terme doivent s’opérer à la fois du côté des structures employeuses et des personnes migrantes en recherche d’emploi. C’est dès lors un rôle d’intermédiaire mais aussi de mise en lien entre employeurs et employées que des associations comme Découvrir, Voie-F, Camarada ou encore F-information peuvent jouer.
Statut de séjour : un facteur déterminant dans la recherche d’un emploi
Le statut de séjour joue malheureusement un rôle déterminant dans la probabilité ou non d’obtenir un emploi. D’une part, des restrictions formelles à l’emploi sont liées à certains permis, notamment pour les personnes en procédure de demande d’asile (permis N). D’autre part, la nature provisoire de certains permis (N, F, mais également B dans certains cas) constitue un véritable frein. Alors qu’on sait qu’il y a un grand écart entre l’intitulé « admission provisoire » et la durée réelle de séjour de la majorité des personnes concernées, la perception des employeurs sur la stabilité de ces permis demeure inchangée[10]. Beaucoup ne savent par exemple pas qu’il leur est permis d’employer sans aucune restriction une personne détentrice d’un permis F, ni que ce statut est très souvent durable.[11]
Les études montrent que le phénomène de déqualification touche particulièrement les personnes issues de l’asile. Plus précisément, il se renforce en fonction de la précarité du statut de séjour : « Avec un permis de séjour N ou F, le risque de sur-éducation[12] est 20 fois plus élevé que lorsqu’on a la nationalité suisse ». Les femmes subissent plus fortement la déqualification que leurs homologues masculins de même statut de séjour[13].
En outre, comme l’explique l’article Permis F : L’exclusion au féminin de Sophie Hodel, les femmes détentrices d’un permis F et de surcroît dénuées d’expérience professionnelle et relativement peu formées, « se heurtent à d’importantes limites sur le marché du travail. Celui-ci tend vers une professionnalisation de tous les secteurs, de sorte qu’elles n’accèdent qu’à des emplois précaires, mal rémunérés et peu qualifiés, notamment dans le secteur du nettoyage »[14]. Selon elle, « leur statut administratif agit en démultiplicateur de précarité. Non seulement parce que la nature provisoire du permis F est source d’angoisse constante, mais aussi parce que ce permis est souvent dévalorisé par les structures et institutions avec lesquelles elles entrent en contact dans leur parcours d’intégration ». [15] La plupart aspirent à l’obtention d’un permis de séjour plus stable (permis B). Mais son obtention est soumise au critère d’intégration, soit l’indépendance financière, l’acquisition de la langue et l’insertion sociale. Critères qui peuvent être difficilement atteignables lorsqu’on a un emploi précaire.
Et à F-information ?
Dans le cadre des consultations professionnelles de F-information, le « profil » que nous recevons le plus fréquemment est celui de femmes avec un statut légal et un permis relativement stable (C ou B) mais peu formée et ayant peu d’expérience professionnelle. Nombreuses sont celles qui se sont occupées de leurs enfants, et qui, au départ de ces derniers et/ou dans le cas d’une séparation, souhaitent – ou doivent – chercher un emploi. Nous les orientons alors souvent vers des organismes de formation de base comme Voie-F ou Camarada. Quand elles souhaitent et/ou doivent rapidement travailler, nous les orientons notamment vers le secteur formation & insertion professionnelle de l’association Camarada.
Quand les permis sont provisoires, les juristes de F-information prennent le relais afin de d’accompagner les consultantes dans un processus de stabilisation du permis de séjour qui, dans l’état actuel du marché de l’emploi, augmente considérablement les chances d’obtenir un travail.
Quand les personnes n’ont pas de permis de séjour et/ou d’autorisation de travailler, il est difficile pour les conseillères professionnelles d’entreprendre un travail d’accompagnement. En effet, les démarches et les canaux de recherche d’emploi sont alors différents et spécifiques à cette situation. Nous observons une réelle dépendance aux conditions fixées par l’employeur, ainsi qu’une précarité et difficulté à prévoir les « coups durs » lorsque l’employée ne peut pas cotiser aux assurances sociales. Le recrutement se fait souvent par le bouche-à-oreille et le travail est majoritairement payé à l’heure ou sur appel. Nous constatons que beaucoup n’osent pas faire valoir leurs droits par peur de se faire renvoyer (de leur emploi et/ou de Suisse). Il est d’autant plus difficile pour ces personnes de se réorienter ou de faire valoir leurs diplômes. Nous les encourageons à suivre des formations données au sein du associations du Réseau femmes* et vers nos consultations sociales et juridiques pour un soutien global.
D’autre part, nous recevons régulièrement des personnes ayant une formation et une expérience dans leur pays d’origine. Lorsque ces dernières possèdent un permis de séjour, nous pouvons les accompagner dans un processus de validation de leurs expériences, notamment via le dispositif Qualifications+ de la Cité des métiers. Ce dispositif permet aux adultes disposant d’une solide expérience professionnelle dans un métier pour lequel il existe une Attestation fédérale de formation professionnelle (AFP) ou un Certificat fédéral de capacité (CFC), d’obtenir une qualification de niveau secondaire II (AFP/CFC) sans contrat d’apprentissage. Si le dossier d’une personne est accepté, cette dernière peut être dispensée des cours et passer l’examen final. En cas de réussite, la personne reçoit alors le même diplôme que celles ayant suivi toute la formation en Suisse.
Finalement, certaines consultantes que nous accompagnons décident d’entreprendre un CFC ou une AFP, mais nous constatons que ce type de formation est peu adapté (horaires, etc.) à des femmes de plus de 35 ans ayant notamment des charges familiales. Le défi consiste dès lors à ne pas baisser les bras et à aménager sa vie privée en conséquence. L’accompagnement global de F-information (social, juridique et professionnel) peut contribuer à trouver un équilibre entre ces différents aspects.
En conclusion, si chacune peut entreprendre de nombreuses démarches (se former, apprendre le français, développer son réseau, faire du bénévolat, organiser sa vie quotidienne et familiale afin de dégager le temps pour un emploi, etc.) et si les associations font leur maximum pour accompagner ces personnes, le marché de l’emploi et la politique migratoire doivent impérativement évoluer pour que ces démarches individuelles et associatives portent leurs fruits. En effet, les quelques histoires de « réussite » restent minoritaires voire marginales et sont le fruit de parcours souvent très longs et ardus. Ainsi, à l’instar de Sophie Hodel, nous estimons que la désignation actuelle du permis F comme « provisoire », le cloisonnement du marché du travail par la professionnalisation et le manque de places de crèches accessibles sont autant de paramètres devant changer pour prendre en compte, de manière humaine, les réalités d’une frange importante de la population vivant à Genève.
Notes
[1] Par femme*, nous entendons toute personne qui se reconnaît en tant que femme ou socialisée en tant que telle.
[2] La fondation Qualife 50+ a pour mission l’accompagnement des personnes de 50 ans et plus à la recherche d’un emploi . Lire également notre article de septembre dernier traitant notamment des questions d’emploi pour les femmes* séniores.
[3] https://www.associationdecouvrir.ch/2016/03/echange-programme-de-mentorat-de-migrante-a-migrante/
[4] Ibid.
[5] Évaluation qualitative des facilitateurs et des obstacles à l’accès à un emploi décent pour les femmes migrantes professionnelles. Étude de cas de l’Association Découvrir à Genève, en Suisse (2018-2021), Genève, décembre 2021, Patricia Mendiola Badaracco
[6] L’association « Vivre ensemble » vient d’éditer une brochure intitulée Réfugié·es & emploi : au-delà des idées reçues . Elle peut être commandée gratuitement en ligne.
[7] Croix-Rouge Suisse, « Déqualifiés ! Le potentiel inexploité des migrantes et des migrants en Suisse, Analyse, portraits et recommandations », 2012
[8] Selon l’Office fédéral de la statistique, les personnes immigrées en Suisse, originaires de pays hors UE et AELE, sont trois à quatre fois plus souvent concernées par le phénomène de la déqualification que les Suisses, et cela alors même que la part des personnes hautement qualifiées parmi les personnes immigrées en Suisse ne cesse de croître (62% parmi celles arrivées en Suisse depuis 1995 auraient achevé une formation élevée). Dans « Déqualifiés ! Le potentiel inexploité des migrantes et des migrants en Suisse, Analyse, portraits et recommandations » (Croix-Rouge Suisse, 2012)
[9] L’association Découvrir vient d’éditer un livre intitulé « Femmes migrantes et qualifiées : 15 femmes en quête de reconnaissance professionnelle ».
[10] Voir à ce propos l’étude de Efionayi-Mäder, D., & Ruedin, D. (2014). Aufenthaltsverläufe vorläufig Aufgenommener in der Schweiz. Datenanalyse im Auftrag der Eidgenössischen Kommission für Migrationsfragen EKM. Neuchâtel: Forum suisse pour l’étude des migrations et de la population.
[11] https://asile.ch/prejuge/oisivete/les-obstacles-a-lemploi/
[12] Désigne le fait qu’une personne exerce une activité moins qualifiée ou rémunérée que son niveau d’instruction permettrait de l’envisager.
[13] https://asile.ch/2022/07/07/travailler-un-triple-plafond-de-verre/
[14] https://asile.ch/2012/01/12/permis-f-lexclusion-au-feminin/
[15] Ibid