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Femmes migrantes victimes de violences conjugales : une double discrimination qui perdure

 

Femmes migrantes victimes de violences conjugales: une double discrimination qui perdure

En avril 2018, le Conseil fédéral a rendu un rapport au sujet du droit de séjour des personnes étrangères qui sont victimes de violences conjugales[1]. Il y conclut que le cadre légal actuel est satisfaisant et efficace, avec toutefois des améliorations souhaitables en matière de sensibilisation et d’information.

Ces conclusions sont en contradiction avec les constats quotidiens sur le terrain. Dans le cadre de ses consultations juridiques, F-Information continue en effet de rencontrer fréquemment des femmes migrantes victimes de violences conjugales qui s’exposent, en cas de dissolution de l’union ou de la vie conjugale, au non-renouvellement de leur autorisation de séjour (permis B).

En effet, malgré un cadre légal permettant, à certaines conditions, la prolongation du titre de séjour en cas de violences conjugales, trop d’obstacles limitent concrètement la protection des victimes. Plus fondamentalement, le statut de séjour des femmes étrangères victimes de violences conjugales demeure marqué par la dépendance au lien conjugal et au titre de séjour du mari violent.

Maintien du permis en cas de dissolution de l’union ou de la vie conjugale

Les conditions légales et jurisprudentielles en cours permettant la prolongation du permis en cas de divorce ou de séparation sont les suivantes :

  • l’union conjugale a duré au moins trois ans (la durée du ménage commun est déterminante en principe) et l’intégration est réussie[2];
  • ou la poursuite du séjour s’impose pour des raisons personnelles majeures[3].

Les raisons personnelles majeures sont notamment données lorsque la conjointe étrangère est victime de violences conjugales.

Il faut pour cela, selon la jurisprudence, que l’auteur inflige des mauvais traitements systématiques (physiques ou psychiques) à la victime pour affirmer sa supériorité et exercer un contrôle sur elle[4]. Il convient de pouvoir établir qu’en raison de ces violences, la personnalité de la victime est sérieusement menacée du fait de la vie commune, et que la poursuite de l’union conjugale ne peut être raisonnablement exigée[5]. Les autorités compétentes peuvent demander des preuves tels que des rapports médicaux, des rapports de police, des plaintes pénales[6].

Obstacles concrets à la protection des femmes

L’exigence de devoir prouver l’ampleur et le caractère systématique des violences constitue un obstacle fréquent à la protection des femmes étrangères face au risque de perdre leur permis. En particulier, certaines caractéristiques des violences conjugales, comme la difficulté de prouver des violences psychologiques, ou encore la présence de phases pouvant inclure des reprises provisoires de la vie commune avec le conjoint, conduisent souvent l’autorité à minimiser la gravité des violences et à refuser la prolongation du permis[7]. Cette situation implique que des femmes migrantes, par peur de quitter leur conjoint, vont se mettre en danger, ou se retrouver dans des procédures très longues et difficiles de renouvellement du permis[8].

Le constat de F-Information va dans le même sens. Nous observons que les femmes ont peur de se séparer de leur mari violent lorsqu’elles sont titulaires d’un permis B. Les femmes hésitent voire renoncent à la démarche de séparation et continuent ainsi de s’exposer à des violences. Dans d’autres cas, elles se retrouvent pendant plusieurs années titulaires d’une simple tolérance de séjour durant la procédure face à l’Office cantonal de la population et des migrations (OCPM). Leur séparation afin de protéger leur intégrité physique ou psychique les plonge ainsi dans une grande précarité, les privant de toute intégration sur le marché du travail.

Discriminations supplémentaires en fonction du statut de séjour

Pour les femmes dont le conjoint n’est pas Suisse ou titulaire d’une autorisation d’établissement (permis C), mais d’une autorisation de séjour (permis B, hors UE/AELE), d’une autorisation de courte durée (permis L) ou d’une admission provisoire (livret F), non seulement les mêmes limitations s’appliquent, mais la marge de manœuvre de l’autorité est plus grande. En effet, en cas de réalisation des conditions nécessaires à la prolongation du permis, celle-ci n’est qu’une simple possibilité[9] et non un droit. Il y a par conséquent une précarité particulière et un manque de protection plus important pour ces femmes, et donc une discrimination supplémentaire en fonction du statut de séjour.

Pour les femmes sans statut légal, aucune protection n’existe qui leur permettrait de dénoncer les violences conjugales sans risquer un renvoi. Le fait d’être victimes de violences conjugales ne suffit pas pour demander la régularisation de leur statut de séjour, car cette dernière dépend également de tous les autres critères pertinents en la matière (durée du séjour, intégration, etc.). Le protocole qui permet à Genève depuis 2013 de faire évaluer son dossier anonymement n’a à ce jour pas été utilisé[10].

Cette situation sur le terrain confirme que les femmes migrantes continuent de subir une double discrimination face aux violences conjugales : du fait des rapports de genre et de leur statut de séjour.

Dépendance au permis du conjoint

Ces discriminations multiples découlent fondamentalement de la dépendance du droit de séjour des femmes étrangères victimes au statut de séjour du conjoint violent. A ce titre, la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (Convention d’Istanbul), entrée en vigueur en Suisse le 1er avril 2018, vise précisément, en son article 159, la protection des femmes dans cette situation, en prévoyant que les Etats prennent des mesures législatives pour garantir l’octroi d’un permis de résidence autonome dans ces cas. Mais la Suisse a ratifié la Convention d’Istanbul avec plusieurs réserves dont l’une concernant cet article et qui limite sa portée en ce qui concerne les femmes étrangères dont le conjoint n’est pas Suisse ou titulaire d’un permis C.

Les femmes migrantes victimes de violences conjugales continuent ainsi de subir une surexposition à ces violences, confrontées concrètement à l’obstacle de devoir prouver l’intensité et le caractère systématique des violences, une difficulté à laquelle s’ajoute, pour les femmes dont le statut est plus précaire, l’absence de garantie à pouvoir maintenir leur titre de séjour, même lorsque ces conditions sont remplies.

 

A consulter également :

ODAE, Femmes étrangères victimes de violences conjugales. Obstacles au renouvellement du titre de séjour en cas de séparation, https://odae-romand.ch/wp/wp-content/uploads/2016/07/Rapport_ODAE_Femmes_etrangeres_ViolencesConjugales_2016.pdf

[1] Ce rapport fait suite au postulat Feri sur cette problématique, et il se base sur une étude du Bureau d’études de politique du travail et de politique sociale S.A. mandatée par le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM). Voir : « pratique suivie en matière de droit de séjour des victimes étrangères de violences conjugales. Rapport du Conseil fédéral en réponse au postulat Feri 15.3408 du 5 mai 2015 », https://www.sem.admin.ch/dam/data/sem/aktuell/news/2018/2018-07-04/ber-br-f.pdf).

[2] Art. 50 al. 1 let. a LEtr ; art. 77 al. 1 let. a OASA.

[3] Art. 50 al. 1 let. b LEtr ; art. 77 al. 1 let. b OASA.

[4] Arrêt du Tribunal fédéra 2C_295/2012 du 5 septembre 2012, consid. 3.2).

[5] Arrêt Tribunal fédéra 2C_554/2009 du 12 mars 2010, consid. 2.1.

[6] SEM, directives LEtr, 6.15.3.4.

[7] Camille Grandjean-Jornod, « Violences conjugales : la double peine des migrantes », Magazine Amnesty n° 93, juin 2018.

[8] Camille Grandjean-Jornod, op.cit.

[9] Art. 77 OASA al. 1 et 2.

[10] Camille Grandjean-Jornod, op.cit.